Une cause qui peut être considérée comme la première cause en lien avec les droits des minorités linguistiques, de façon très indirecte. Le professeur de droit de l’Université d’Ottawa, Me François Larocque, explique.

Si la cause ayant opposé John Kelly Barrett à la Ville de Winnipeg en 1891 contenait une dimension cachée de droits linguistiques, le professeur titulaire de la Chaire de recherche Droits et enjeux linguistiques à la Faculté de droit de l’Université d’Ottawa, Me François Larocque, tient à clarifier : « A priori, c’est une cause qui portait sur les écoles confessionnelles et le droit à l’éducation religieuse, pas sur des questions linguistiques.

« Mais à l’époque, les écoles confessionnelles étaient indissociables de la question linguistique puis- que les francophones étaient catholiques. Donc, grand nombre d’écoles confessionnelles fonctionnaient en français. » 

En effet, ce qui avait amené le Winnipégois M. Barrett devant les tribunaux, c’était une contestation de la Manitoba Schools Act de 1890, qui abolissait le financement des écoles confessionnelles. Lui-même anglophone catholique, M. Barrett refusait de payer l’impôt aux écoles laïques alors que ses enfants n’y recevraient pas d’éducation catholique.

« La Manitoba Schools Act de 1890 était donc d’abord une loi anti-catholiques, puis par extension une loi anti-francophones car abolir les écoles confessionnelles voudrait dire que les francophones ne pourraient plus aller à l’école dans leur langue  », indique Me Larocque.

Un manque dans la Loi

Il développe l’argumentaire de l’avocat de M. Barrett, qui disait que  l’article 22 de la Loi du Manitoba de 1870, qui portait sur les écoles, était calqué sur l’article 93 de la Loi constitutionnelle de 1867 qui reconnaissait essentiellement le droit aux écoles confessionnelles telles qu’elles existaient en vertu des coutumes avant l’entrée du Manitoba dans la Confédération.

« On pensait alors, même si ce n’était pas la question devant la cour, qu’en protégeant les écoles confessionnelles, on protégeait ipso facto les écoles de langue française.

« Mais le tribunal de première instance, la Cour du Banc de la Reine, a répondu que non, l’article 93 de la Loi constitutionnelle de 1867, et donc aussi l’article 22 de la Loi du Manitoba de 1870, ne portaient que sur les écoles, pas sur la langue d’éducation, et que la Loi de 1890 pouvait établir que toutes les écoles financées par le denier public soient laïques. On laissait l’éducation religieuse aux églises, et M. Barrett devait payer l’impôt. »

Une Cour suprême favorable…

Mais qu’en disait la CSC, qui a entendu la cause vers 1891-1892? « Pour sa part, la CSC avait renversé la décision de première instance et tranché en faveur des catholiques. Les cinq juges étaient unanimes pour dire que la Manitoba Schools Act de 1890 était ultra vires, qu’elle allait au-delà de ce qu’elle avait le droit de faire.

« Mais encore une fois, leur décision n’était pas basée sur une question de droits linguistiques, mais de hiérarchie des lois : la Loi du Manitoba de 1870 étant constitutionnelle, elle avait préséance sur la loi ordinaire sur l’éducation de 1890. »

… mais de portée limitée

N’étant pas la cour de dernier ressort, son jugement n’a toutefois pas eu d’impact, puisque la dernière instance, le Comité judiciaire du conseil privé, a rétabli le jugement de première instance.

En effet, rappelons que jusqu’en 1949, la CSC n’était pas la dernière instance juridique du Canada. Les affaires pouvaient monter jusqu’au Comité judiciaire du conseil privé, à Londres, qui entendait des appels venant de toutes les cours supérieures du Commonwealth.

François Larocque rappelle d’ailleurs que les tribunaux ont eu la même conclusion au sujet de l’article 93 par deux autres fois : au Nouveau-Brunswick en 1873 avec l’affaire Ex parte Renaud et en Ontario après le Règlement 17 de 1912.

« Différentes communautés catholiques et francophones ont tenté d’affirmer leur droit à l’instruction en français devant les tribunaux, mais ils ont essuyé défaite après défaite, explique le professeur de l’Université d’Ottawa.

« Et chaque fois que la loi était interprétée ainsi, de manière restrictive, les francophones prenaient cela comme une gifle parce que dans leur esprit, l’intention au moment de négocier les articles de loi en 1867, et en 1870 au Manitoba, c’était aussi de protéger ipso facto la langue d’éducation française. »

Mais comment faire valoir un droit qui, selon les tribunaux, n’existait pas dans les Lois? « Il a fallu attendre la Loi sur les langues officielles de 1969 – une loi d’ailleurs propulsée par le désenchantement profond des francophones face au pacte constitutionnel de 1867 – et la Charte canadienne des droits et libertés de 1982, qui codifiait enfin le régime linguistique officiel du Canada, pour que les francophones commencent à enchaîner les victoires.

« Jusque-là, l’encadrement juridique des droits linguistiques était trop limité pour vraiment pouvoir les faire reconnaître, car les tribunaux sont là pour clarifier et interpréter les droits qui existent, pas pour en créer des nouveaux », conclut François Larocque.

Cet article est issu de notre première édition de l’année consacrée au 150 ans de la Cour suprême du Canada.