Une cause qui a notamment clarifié le principe d’égalité réelle.
Bien qu’elle concerne la Colombie-Britannique, la cause CSFCB c. Colombie-Britannique gardera une place particulière dans le cœur des Manitobain.e.s, en particulier les francophones. En effet, elle faisait partie de deux causes que la CSC, présidée par le juge en chef Richard Wagner, entendait à Winnipeg, autrement dit pour la toute première fois de son histoire à l’extérieur de son édifice à Ottawa. C’était en 2019. (1)
Avocat des plaignants depuis le début de l’Affaire jusqu’à la CSC, Me Mark Power signale d’emblée l’importance symbolique de cette cause : « C’est le plus long procès civil de l’histoire de la Colombie-Britannique qui ne soit pas autochtone, soit 220 jours, parce que beaucoup était revendiqué. Le gain réalisé par le CSFCB grâce à ce jugement s’élève à trois milliards $. »
Dans CSFCB c. Colombie-Britannique, les appelants demandaient que les enfants francophones en Colombie-Britannique puissent étudier à l’école dans les mêmes conditions que les enfants anglophones, en vertu de l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés. À leur avis, les écoles françaises étaient surpeuplées, mal équipées en comparaison avec les écoles de la majorité, et les enfants devaient faire de trop longs trajets en autobus.
En 2015, la CSC avait déjà entendu l’Association des parents de l’école Rose-des-Vents, école francophone de Vancouver, qui demandait reconnaissance que leurs droits entourant l’instruction dans la langue de la minorité avaient été violés selon l’article 23 de la Charte.
En effet, comparé aux écoles anglaises dans la même zone, leur école était surpeuplée, les installations inadéquates et vétustes, et près de 60 % des élèves devaient faire plus de 30 minutes d’autobus scolaire pour venir.
La CSC leur avait donné raison. « Le jugement de 2015 portait sur une école, celui de 2020, sur 20 écoles, résume Me Power. La cause en 2019 était éléphantesque. On posait même la question des dommages et intérêts en matière de transport scolaire. On clarifiait tout. »
Article premier
L’un des aspects majeurs de la cause CSFCB a été le débat entourant l’article 1er de la Charte canadienne des droits et libertés, qui dit que l’État peut ne pas respecter des droits s’il a une raison vraiment importante, impérieuse, qui le justifie.
« Dans le cadre de la Colombie-Britannique, la Province argumentait que l’article 23 coûtait trop cher à mettre en œuvre du fait du petit nombre de francophones répartis à travers la province, et qu’en vertu de l’article 1er, ces coûts étaient une bonne raison de ne pas mettre en œuvre le droit prévu. »
L’avocat rappelle en effet que dans une autre affaire devant la CSC en 2011, Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador, « la Province de Terre-Neuve-et-Labrador avait invoqué avec succès l’article 1er pour justifier le non-respect du droit à l’équité salariale, car elle était en faillite et ne pouvait pas payer.
« De même ici, la Colombie-Britannique disait que l’égalité réelle entre écoles françaises et anglaises était un luxe qu’elle ne pouvait pas se permettre financièrement, et donc qu’on ne devait construire que des écoles non équivalentes, par exemple trop petites ou sans gymnase, pour faire des économies.
L’article 1er comme moyen de défense a été rejeté de façon absolument catégorique par tous les juges, « notamment parce que la Colombie-Britannique enregistrait un surplus de quelques milliards $ chaque année. Donc choisir de garder ce surplus en banque plutôt que le dépenser sur l’éducation française était un choix éminemment politique. »
En outre, la CSC a clarifié que le droit contenu à l’article 23 d’aller à l’école dans sa langue officielle, même si celle-ci n’est pas la langue majoritaire dans la province ou le territoire où la personne se trouve, ne pouvait en aucun cas être suspendu.
« Il échappe complètement à la clause nonobstant de l’article 33 de la Charte canadienne des droits et libertés, qui permet à un gouvernement de suspendre délibérément l’application d’un droit pendant cinq ans. Le texte de la Charte dit très clairement que les droits à l’article 23 sont prioritaires sur les autres. »
Égalité réelle
Un autre grand débat dans cette affaire était de clarifier comment le nombre pouvait justifier l’ouverture d’une école.
« La conclusion tirée par la Cour était que si une Province permet à des petites écoles anglophones, au rural notamment, d’opérer à petits effectifs, où que ce soit dans la province, alors pour le même nombre d’élèves, les francophones devraient pouvoir avoir leurs écoles n’importe où dans la province, avec les mêmes services que dans les petites écoles anglophones rurales. Par exemple un gymnase, un laboratoire ou encore de belles installations modernes », explique Me Mark Power.
La CSC a donc donné raison aux appelants dans une décision majoritaire de sept juges sur neuf, les deux derniers étant dissidents partiels, et affirmé que choisir l’école en français ne devait aucunement signifier choisir une expérience éducative moins bonne. C’est le principe d’égalité réelle.
La Cour a estimé que les nombres justifiaient la construction de huit nouvelles écoles. Elle a aussi ordonné à la Colombie-Britannique de payer six millions $ au CSFCB pour compenser le transport par autobus scolaire non payé et 1,1 million $ pour le manque d’aide financière aux écoles en milieu rural.
« Il y en a pour au moins 500 millions $ de projets de construction d’écoles francophones en chantier en Colombie-Britannique actuellement, révèle Me Power. Et d’autres dépenses viendront. Avec les dommages et intérêts, on estime le montant total final à trois milliards $. » (2)
(1) Voir notre dossier spécial dans La Liberté du 2 au 8 octobre 2019.
(2) Depuis l’été 2024, le CSFCB est de nouveau devant les tribunaux pour dénoncer la lenteur d’application des décisions de la CSC en 2020 par le gouvernement britanno-colombien.