Avec sa décision dans l’Affaire Commission scolaire francophone des Territoires du Nord-Ouest (CSFTNO) c. Territoires du Nord-Ouest en 2023, la Cour suprême du Canada (CSC) a réaffirmé l’importance de toujours considérer l’impact sur la communauté de langue officielle en situation minoritaire en matière d’attribution du droit à une éducation en français, entre autres.
Les faits remontent à 2018-2019. Cinq parents non-ayants droit selon l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés, mais dont la langue officielle d’usage familiale était le français, avaient demandé l’autorisation à la ministre de l’Éducation, la Culture et la Formation des Territoires du Nord-Ouest (TNO) d’envoyer leurs enfants dans l’une des deux écoles publiques francophones de la CSFTNO.
Appel de la Commission scolaire
Ces demandes avaient été recommandées par la CSFTNO, mais la Ministre les a toutes rejetées. Les parents et la Commission scolaire ont donc fait appel de cette décision devant les tribunaux.
« Ces parents étaient des nouveaux arrivants, donc ils n’étaient pas citoyens canadiens, explique l’une des avocates des appelants, Me Audrey Mayrand. Mais bien que n’étant pas francophones de langue maternelle, ils parlaient français, et leurs enfants avaient été à la garderie en français et s’exprimaient déjà en français avant l’inscription à l’école. »
Au-delà de ces cas individuels, c’est avant tout l’intérêt de la communauté francophone des TNO qui était au cœur de la cause. Me Mayrand explique : « Dans les TNO, il y a beaucoup d’assimilation. C’est un grand défi. La ministre aurait dû, selon nous, prendre ceci en considération dans ses décisions et utiliser son pouvoir discrétionnaire pour privilégier l’intégration au système scolaire francophone de ces enfants qui parlaient déjà français, dans des familles déjà francophiles, afin de renforcer la communauté francophone.
« Avoir des enfants qui parlent déjà bien français, même s’ils ne sont pas ayants droit au sens strict de la Charte, ça fait une grande différence positive pour l’école et la communauté. »
Un article un peu flou
L’avocate reconnaît que l’article 23 n’est pas clair dans sa définition d’un.e ayant droit, et que son interprétation varie selon les provinces et les territoires à travers le Canada.
« Dans le cas des TNO, tout comme en Colombie-Britannique, les admissions d’enfants non-ayants droit dans les écoles francophones sont plutôt limitées. Et c’était clair ici que ces parents n’avaient pas un droit constitutionnel d’envoyer leurs enfants à l’école en français.
« Donc pour la ministre, cette décision dépendait purement de son pouvoir discrétionnaire. Et du fait des coûts supplémentaires associés à l’envoi d’élèves dans des petites écoles francophones, elle avait choisi de ne pas faire d’exception pour ces enfants non-ayants droit. »
L’avocate rappelle par ailleurs que c’était la première fois que la question des non-ayants droit selon l’article 23 de la Charte était spécifiquement portée à l’attention des juges de la CSC.
« L’arrêt CSFTNO de 2023, c’est la reconnaissance par la plus haute instance judiciaire de l’importance cruciale de considérer les impacts directs et indirects de toute décision sur les CLOSM, et de toujours privilégier les décisions qui permettront le maintien et l’épanouissement de ces CLOSM. » Me Audrey Mayrand.
Impact sur la CLOSM
En privilégiant les économies d’échelle, un « argument-excuse » selon Me Mayrand, la ministre a fait fi de quelque chose de beaucoup plus important : l’impact sur la communauté de langue officielle en situation minoritaire (CLOSM). Un impact au cœur de la décision rendue à l’unanimité par un banc de sept juges de la CSC, présidé par le juge en chef Richard Wagner, le 8 décembre 2023.
« Un aspect vraiment révolutionnaire avec la cause CSFTNO, c’est que les juges de la CSC ont donc affirmé que même lorsqu’il était clair pour tout le monde que le parent n’était pas ayant droit en vertu l’article 23 de la Charte, ceci n’empêchait pas que ce droit lui soit donné si ceci favorisait l’épanouissement de la communauté de langue officielle minoritaire », souligne Me Audrey Mayrand.
L’impact sur la communauté minoritaire est donc le premier argument à considérer par les gouvernements selon la CSC, une déclaration qui a le potentiel de changer l’avenir des autres CLOSM partout au Canada.
« L’arrêt CSFTNO de 2023, c’est la reconnaissance par la plus haute instance judiciaire de l’importance cruciale de considérer les impacts directs et indirects de toute décision sur les CLOSM, et de toujours privilégier les décisions qui permettront le maintien et l’épanouissement de ces CLOSM, résume Me Mayrand.
« Les gouvernements partout au Canada doivent tenir compte des objectifs de la Charte lorsqu’ils prennent des décisions, et ce en matière d’éducation, mais aussi de santé, de services sociaux, etc. La portée de cette décision de la CSC est donc bien plus large que la question initiale posée des admissions à l’école. »
La langue au tribunal
La cause CSFTNO a par ailleurs resoulevé la question de la langue des tribunaux.
« Ce qui s’est passé, raconte Me Audrey Mayrand, c’est qu’à la Cour d’appel des TNO, il y a eu violation du droit d’utiliser le français. Normalement, il faut un banc de trois juges pour entendre une cause à la Cour d’appel, et la Cour n’était pas en mesure de nommer trois juges capables de comprendre le français. Il y a donc eu des délais additionnels pour traduire les documents et fixer l’audience, ainsi que besoin d’un interprète.
« Et là encore, la Cour d’appel n’a pas fourni deux interprètes comme elle aurait dû, qui se seraient relayé, mais un seul pour toute la journée d’audience. L’interprétation était donc de très mauvaise qualité car l’interprète était en sous-effectif. »
Les avocats ont tenté de soulever devant la CSC cette question du droit d’être compris directement en français dans les tribunaux des TNO, mais celle-ci a estimé que la question devait d’abord être soulevée dans les instances inférieures avant d’être posée aux juges de la CSC. Il n’y avait pas la preuve nécessaire pour trancher la question.
Me Mayrand indique par ailleurs qu’une autre affaire judiciaire similaire est en cours au Québec, en première instance. « Il s’agit d’une contestation de la validité de la Loi 96 du Québec, qui limite les circonstances dans lesquelles on peut exiger la connaissance de l’anglais pour être nommé juge au Québec. Cette affaire pourrait avoir une influence si la question est reposée au niveau des TNO », termine-t-elle.