Une cause dans laquelle les demandeurs, francophones, demandaient que les lois unilingues anglophones de l’Alberta, et par extension de la Saskatchewan, soient déclarées ultra vires. La CSC a débouté les demandeurs, démontrant ainsi l’importance de la terminologie utilisée dans les lois écrites.
En 2003, le camionneur franco-albertain Gilles Caron a reçu une contravention routière unilingue en anglais pour laquelle il a, en vain, demandé une traduction en français. Il décide donc de contester sa contravention. Ayant lui aussi reçu une contravention en anglais seulement, le Franco-Albertain Pierre Boutet le rejoint dans sa démarche judiciaire.
Douze ans plus tard, la CSC a rendu son jugement : l’Alberta n’a pas d’obligation à faire traduire ses lois dans les deux langues officielles.
Avocat de Pierre Boutet depuis la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta jusqu’à la CSC, Me Mark Power précise qu’« officiellement, cette cause ne concernait que l’Alberta, mais ça a eu un impact sur la Saskatchewan aussi puisqu’elle se trouvait dans la même situation ».
Décision non unanime
Me Power tient aussi à rappeler que le jugement n’était pas unanime. Trois juges sur neuf, les juges Côté, Abella et Wagner, aujourd’hui juge en chef de la CSC, voulaient exiger que l’Alberta revote toutes ses lois dans les deux langues officielles, et que les citoyen.ne.s puissent être entendus et compris dans la langue officielle de leur choix devant les tribunaux.
Me Mark Power développe : « Ils voulaient rétablir le jugement de la première instance, la Cour provinciale de l’Alberta, en grande partie en raison de la richesse de la trame factuelle.
« C’est-à-dire que selon eux, quand la Terre de Rupert, qui regroupait alors les actuels Manitoba, Saskatchewan, Alberta, Territoires du Nord-Ouest et une partie de l’Ontario et du Québec, a été ajoutée au Canada, l’intention était que tous ces territoires soient aussi bilingues que ce qu’est devenu le Manitoba. »
Me Power donne du contexte historique : « Quand la Reine Victoria a voulu consolider ses possessions en Amérique du Nord, Louis Riel, qui l’a découvert par accident, a résisté avec ses troupes. Or les troupes de Louis Riel étaient alors plus fortes sur le plan militaire que celles du gouvernement du Canada dans l’Ouest.
« Donc pour acheter la paix, la Reine d’Angleterre elle-même a fait une proclamation royale le 6 décembre 1869 dans laquelle elle promettait aux insurgés que tous les droits alors en vigueur seraient maintenus, dont le respect de l’anglais et du français et l’administration bilingue de la justice sur le territoire, en échange de déposer leurs armes et se joindre au Canada. Pour les trois juges dissidents, cette promesse devait s’appliquer à toute l’ancienne Terre de Rupert, territoire des Métis de Louis Riel. »
Le poids de l’écrit
Mais pour les six autres juges, si l’article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867, de même que l’article 23 de la Loi sur le Manitoba de 1870 qui reprend presque la même terminologie, parlent très clairement de l’obligation de légiférer en français et en anglais, et que ces deux langues soient comprises devant les tribunaux, « pourquoi nos aïeux auraient-ils utilisé des formulations différentes pour l’Alberta, la Saskatchewan et les trois territoires s’ils avaient eu le même objectif?, rapporte l’avocat.
« L’histoire montre qu’entre 1869 et 1870, le Canada a eu le temps d’envoyer plus de soldats dans l’Ouest. Les Métis avaient donc moins de poids, ce qui expliquerait le texte de loi plus restreint que l’intention de la promesse. »
Quelle est donc la leçon de l’Affaire Caron-Boutet? Pour Me Mark Power, « ce jugement rappelle l’importance de la formulation écrite retenue, car ça peut prendre toute une montagne de preuves historiques pour pouvoir renverser voire nuancer des présomptions fondées sur l’écrit. Si ce n’est pas explicite par écrit, c’est plus difficile à faire valoir ».
Impacts de la décision
L’avocat précise que la décision Caron-Boutet affecte directement la Saskatchewan, qui se trouve dans la même situation. Pour les territoires en revanche, puisqu’ils relèvent du Fédéral et que la Loi constitutionnelle de 1982 impose le bilinguisme et le statut égal du français et de l’anglais au plan fédéral, ils ne sont pas concernés.
L’Affaire Caron-Boutet a aussi eu un impact négatif sur les francophones et autres groupes minoritaires en dehors de l’Alberta et de la Saskatchewan. En effet, « ce jugement est régulièrement utilisé par les gouvernements comme précédent pour justifier de résister à des demandes de groupes en quête d’égalité, quels qu’ils soient, sur la base de l’absence d’un texte de loi écrit clair et cohérent avec les autres lois contemporaines ».
Mais de manière plus positive, son impact s’est également vu dans la modernisation de la Loi sur les langues officielles en 2024. « Plusieurs articles de la Loi sont désormais beaucoup plus détaillés qu’avant, termine Me Power. Notamment la Partie 7 de la Loi, qui s’étale sur plusieurs pages alors qu’elle ne faisait que quelques lignes avant. »