Cela fait plus d’un an maintenant que des résidents de Saint-Norbert luttent pour empêcher l’abattage des arbres dans une partie de la forêt Lemay.
Le groupe Tochal Development est propriétaire depuis 8 ans d’un terrain de 22 acres (8 hectares) dans la forêt urbaine.
Pour rappel, le groupe propriétaire a pour ambition de construire sur la propriété une résidence de logements abordables avec services de 5 000 lits et 2 500 unités. Afin d’aller de l’avant dans ce projet, une demande de rezonage avait été déposée devant le Conseil municipal et refusée le 26 septembre. Le groupe ayant fait appel de cette décision auprès de la Commission municipale du Manitoba, la demande devrait passer de nouveau devant le Conseil municipal au mois de février. Dans le même temps, les résidents fermement opposés au projet ont créé la Coalition to Save Lemay Forest.
À cette fin, les militants se tournent vers la loi.
Les pistes
« Maintenant que nous avons retenu un avocat, nous connaissons nos droits et nous allons prendre notre propre route judiciaire », indique Louise Perret-Gentille, porte-parole de la coalition et née à Saint-Norbert.
Sans vouloir entrer dans les détails en ce qui concerne les démarches entamées, elle indique que plusieurs pistes sont envisagées.
« Il y a une loi provinciale : la Loi sur les cimetières qui indique que la découpe des arbres est illégale. »
Il faut comprendre que des tombes anonymes, qui pourraient être celles d’enfants métis qui ont fréquenté un orphelinat catholique, ont été identifiées et localisées sur le terrain concerné. John Wintrup, urbaniste et porte-parole pour le groupe propriétaire, fait valoir à ce propos que quatre fouilles archéologiques ont déjà été menées sur la parcelle. Il ajoute que d’autres étapes afin d’identifier plus précisément les tombes auront lieu « en collaboration et sous la direction des communautés autochtones et de l’archéologue de la Province ». Il précise aussi qu’un plan de gestion du patrimoine sera respecté si un nouveau projet d’aménagement est approuvé.
La Loi sur les cimetières quant à elle n’établit pas de processus clair lorsqu’il s’agit d’un cimetière de tombes anonymes. On peut cependant y lire dans les dispositions générales :
« Commet une infraction et se rend passible, sur déclaration sommaire de culpabilité, d’une amende d’au moins 4 $ et d’au plus 40 $ pour chaque infraction, quiconque commet l’un ou l’autre des actes suivants :
a) volontairement, détruit, dénature, abîme, endommage ou enlève une tombe, monument, pierre tombale ou autre structure placé dans un cimetière, ou une clôture, barrière ou autre installation destinée à protéger ou à embellir un cimetière, une tombe, un monument, une pierre tombale ou une autre structure ou un lot de cimetière;
b) volontairement, détruit, coupe, brise ou endommage un arbre, arbuste ou plante d’un cimetière; »
Des recherches jugées insuffisantes
Louise Perret-Gentille, qui se souvient que le cimetière était déjà connu des résidents de Saint-Norbert lorsqu’elle « était jeune », argue que les recherches menées par le propriétaire sont insuffisantes. Elle allègue d’ailleurs qu’aucun archéologue n’a été commandité par le groupe. « Nous avons reçu une lettre qui venait de l’archéologue du département du patrimoine qui était clair. On ne peut pas, sans des recherches approfondies, développer sur la parcelle. Nous avons besoin de temps pour effectuer ces recherches. On sait qu’il y a un cimetière, il faut déterminer sa position et sa taille. »
L’ambition pour les résidents et défenseurs de la forêt urbaine est donc d’invoquer ce besoin de recherches pour interrompre l’abattage des arbres.
Protection de la biodiversité
L’autre piste qui pourrait être explorée porte un bec et des plumes.
« Le Grand Pic est un oiseau dont l’habitat doit être préservé et étudié pendant au moins trois ans. Ça n’a pas été pris en compte par le développeur du tout », indique Louise Perret-Gentille.
En effet, en vertu du Règlement sur les oiseaux migrateurs, le Grand Pic, ainsi que les endroits où il niche (cela comprend même les poteaux électriques) sont protégés contre la destruction.
La résidente de Saint-Norbert souligne que de nombreux Grands Pics ont pu être photographiés par des enthousiastes dans la forêt Lemay au fil des ans.
Finalement, il reste toujours l’option de l’achat. Un troisième acteur dans cette affaire : Manitoba Habitat Conservancy a fait une proposition de 5,25 millions de dollars au groupe Tochal Development. L’offre prévoit aussi la cessation immédiate de l’abattage des arbres en cas d’accord de principe. Cette dernière devra être acceptée avant le 9 janvier.
Rappel des faits
En dépit de l’impossibilité d’entamer des travaux de développement, le 24 septembre 2024, le propriétaire foncier avait fait tomber une centaine d’arbres sur son terrain. À l’époque, la Ville a fait parvenir une ordonnance de cessation de travaux. Cette dernière indiquait que le groupe Tochal, en retirant la végétation de son terrain sans permis de développement valide, enfreignait deux règlements de la Charte de la Ville.
Le 18 octobre 2024, la Ville a finalement remis à Tochal Development un permis d’aménagement permettant notamment l’enlèvement d’arbres et le stockage du bois sur la propriété.
Par la suite, le 23 décembre 2024, l’abattage des arbres a repris.
La réaction des résidents de Saint-Norbert ne s’est pas fait attendre. Le 27 décembre, à la lisière de la forêt, des militants autochtones et non autochtones ont allumé un feu sacré pour protester. Un groupe de personnes a notamment établi un campement pour empêcher le développeur de poursuivre l’enlèvement des arbres.
Réponse de la justice
En réponse à cela, le propriétaire a déposé une injonction auprès de la Cour du Banc du Roi à l’encontre de 21 personnes et du groupe Coalition to Save the Lemay Forest.
Lors d’une audience le lundi 6 janvier, Madame la juge Sarah A. Inness a décidé que les militants étaient autorisés à rester aux abords du terrain avec l’interdiction de s’introduire sur la propriété privée et d’empêcher l’accès au propriétaire à son terrain en prolongeant l’injonction émise le 30 décembre.
John Wintrup, urbaniste et porte-parole du promoteur, se dit satisfait de la décision. « Cette décision est juste. Elle concilie le rôle important et les droits de tous les Canadiens d’attirer l’attention sur des questions d’importance sociale tout en reconnaissant les droits des propriétaires privés d’accéder à leur terrain en toute sécurité. »
L’accueil de la décision est positif d’un côté comme de l’autre. En effet, Louise Perret-Gentille, née à Saint-Norbert et porte-parole pour la coalition, confie être « très heureuse », de la conclusion de la juge.