Par Laurent Gimenez.
Ainsi, le français que nous parlons aujourd’hui raconte notre histoire telle qu’elle s’est déroulée depuis plus de deux mille ans.
Si au moins 80 % du vocabulaire français est d’origine latine, c’est évidemment une conséquence directe de la conquête de la Gaule par les Romains au 1er siècle av. J.-C. Mais le latin n’a pas complètement effacé la langue celtique parlée par les Gaulois. Aujourd’hui encore, le français conserve plusieurs mots venus de cette langue et liés au domaine du transport, tels que char (du gaulois karros, qui a donné car en anglais), carriole, carrosse et charrue. Ils nous rappellent que les Gaulois étaient des charrons (fabricants de chariots) très réputés, bien avant la conquête romaine.
À partir du 4e siècle apr. J.-C., des tribus germaniques ont envahi progressivement la partie occidentale de l’Empire romain, y compris la Gaule où se sont installés les Francs. Ceux-ci lui ont légué non seulement un nouveau nom, la France, mais aussi plusieurs centaines de mots d’origine germanique que l’on utilise encore aujourd’hui. Beaucoup d’entre eux sont liés à la forêt ou aux produits du bois, comme houx, gui, osier, roseau, saule, aulne, hêtre, bois, bûche, bille, latte, banc, fauteuil. Ils rappellent que les envahisseurs germains de la Gaule venaient d’une région couverte de forêts et très peu urbanisée qui correspond plus ou moins au territoire de l’Allemagne actuelle.
Dès la fin du Moyen-Âge, le rôle majeur joué par l’Italie dans le commerce mondial et la banque va doter la langue française d’un lexique financier d’origine italienne qui reste d’actualité, avec des mots comme banque, banqueroute, crédit, taux, bourse, solde. À partir de la Renaissance, une véritable « italomanie » déferle sur la France, encouragée par des écrivains (Marot, Ronsard, du Bellay) et par l’élite politique française (François 1er, Catherine de Médicis, Marie de Médicis, cardinal Mazarin). Se manifestant principalement dans les domaines de la cuisine, de la mode, de l’architecture et des arts, cet engouement pour l’Italie apporte au vocabulaire français de nombreux mots d’origine italienne, comme banquet, festin, pantalon, costume, balcon, coupole, dessin, solfège, virtuose.
À partir du 17e siècle, l’aventure coloniale de la France en Amérique du Nord s’intensifie. Dans ce nouvel espace géographique et humain qu’est le Canada, la langue française se transforme sous l’influence du contexte local. La rencontre avec les peuples autochtones enrichit le vocabulaire de nouveaux mots qui traversent généralement l’Atlantique (mocassin, caribou, totem), en prenant parfois un double sens, comme toboggan, qui désigne un traîneau au Canada et une glissade en France.
Le français du Canada reflète logiquement l’identité et l’histoire particulières de ses habitants. Le mot vadrouille en est un bon exemple. On l’emploie couramment au Canada pour désigner un balai à franges servant à nettoyer les planchers. Ce sens est sorti de l’usage en France, sauf dans le domaine de la marine où il désigne un instrument composé de vieux cordages fixés à un manche et servant au nettoyage et au séchage des ponts de navire. La survivance de ce sens dans l’usage courant au Canada témoigne non seulement de l’importance de la navigation dans l’histoire de la Nouvelle-France, mais aussi des racines maritimes d’un bon nombre des premiers colons, issus de régions atlantiques comme la Normandie, le Poitou et la Saintonge.
Au fil de son histoire, la langue française aurait emprunté environ 15 % de son vocabulaire à une petite centaine de langues étrangères. Selon la linguiste Henriette Walter, l’italien et les langues germaniques occupaient les deux premières places de ces langues « prêteuses » jusqu’au milieu du 20e siècle (1). Depuis, naturellement, l’anglais les a largement dépassés : il fournit aujourd’hui environ 80 % des nouveaux mots que le français emprunte chaque année à des langues étrangères! (2) Faut-il s’en inquiéter? On en parlera dans une prochaine chronique linguistique.
(1) WALTER, Henriette, L’Aventure des mots français venus d’ailleurs, Le Livre de Poche (Laffont), 1997
(2) AUDUREAU, William, « Flow, tataki, coolitude : d’où viennent les nouveaux mots de la langue française », Le Monde, 26 juillet 2022 (https://shorturl.at/VlIoP)