Par Marianne Dépelteau.

L’organisme assure que l’argent n’est pas un facteur. Un député libéral aimerait voir plus de leadeurship pour que le dossier avance.

Cela fait quelques années que des organismes francophones hors Québec, tels que la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada (FCFA), demandent des données économiques fréquentes sur les communautés francophones.

En 2024, le Comité permanent des langues officielles a recommandé au gouvernement fédéral de demander à Statistique Canada de recueillir ces informations dans le cadre de son Enquête mensuelle sur la population active (EPA).

L’idée est de brosser un portrait mensuel sur, par exemple, le taux de chômage des francophones en situation minoritaire, afin de mieux cibler les subventions et programmes gouvernementaux qui leur sont destinés.

Francopresse rendait compte de cette situation le 27 janvier. Depuis, Statistique Canada a affirmé par courriel qu’il était « au courant » de la recommandation formulée, mais qu’il attendait la réponse du gouvernement fédéral. « Nous ne sommes pas encore en mesure de discuter de changements potentiels au niveau de l’Enquête sur la population active », écrit un porte-parole.

Le gouvernement fédéral doit effectivement répondre au rapport du comité, un exercice qui peut prendre plusieurs mois et qui peut quand même se faire pendant la prorogation du Parlement.

« Notre organisation reste tout de même engagée à fournir des données de qualité sur les différents enjeux qui touchent les communautés de langues officielles en situation minoritaire », poursuit le porte-parole de Statistique Canada.

L’autonomie de Statistique Canada

Si Statistique Canada attend la réponse du gouvernement avant d’agir, l’organisme rappelle dans un autre courriel à Francopresse que « Statistique Canada détermine le contenu de ses enquêtes afin de répondre aux besoins de ses utilisateurs de données (y compris les besoins liés aux exigences législatives, aux politiques et aux programmes) et fournir des renseignements fiables et pertinents ».

Techniquement, Statistique Canada n’a pas besoin d’un feu vert d’Ottawa pour ajouter des questions à l’EPA permettant de recenser des données linguistiques.

La FCFA indique qu’il existe une ouverture de la part de Statistique Canada pour trouver des solutions.

Le député libéral et membre du Comité permanent des langues officielles, Darrell Samson, espère tout de même que son gouvernement en fera la demande. « Toute l’évidence depuis quelques années signale l’intérêt de notre gouvernement de répondre à nos communautés linguistiques des langues officielles à travers le Canada », dit-il en entrevue avec Francopresse.

« Par contre, poursuit-il, j’aimerais mieux voir Statistique Canada dire à notre gouvernement : “Regardez ce que nous allons faire.” […] Dans un monde idéal, Statistique Canada sauterait sur [l’occasion] pour dire : “Je suis ici pour faire ma job de façon à assurer que nos communautés auront les outils, l’information, les données pour répondre à la marchandise”. »

L’argent, « pas une considération première »

Questionné sur le cout que représenterait l’ajout de questions linguistiques dans l’EPA, Statistique Canada écrit que « bien que les aspects financiers soient aussi pris en compte lors de cette évaluation, il ne s’agit pas d’une considération première ».

L’organisme explique qu’une évaluation de faisabilité est menée avant d’ajouter des questions à une enquête existante, afin d’éviter « d’ajouter au fardeau de réponse » supplémentaire aux 65 000 ménages questionnés mensuellement.

Le cas échéant, « Statistique Canada pourrait par exemple examiner la possibilité de retirer certaines autres questions afin d’éviter d’augmenter ce fardeau », lit-on dans le courriel.

Une possibilité serait d’intégrer les renseignements déjà recueillis dans le cadre du Recensement de la population – lequel comprend des questions sociodémographiques détaillées –, avec celles de l’EPA, rapporte l’agence fédérale.

Une sensation de déjà-vu

Selon Darrell Samson, l’accès aux données économiques sur les francophones en situation minoritaire est « un droit, pas un privilège ». Questionné sur la raison pour laquelle ces données n’existent toujours pas, il évoque une possible « question de leadeurship ».

Ce n’est pas la première fois que l’élu demande ce type de renseignements. La modernisation de la Loi sur les langues officielles (LLO), en 2023, avait laissé place au sein du Comité à tout un débat sur le dénombrement des ayants droit.

« Ça a été une bataille énorme pour convaincre Statistique Canada d’ajouter les deux questions pertinentes à l’article 23 [sur les ayants droit], se souvient M. Samson. Il faut des données pointues, complètes, pour pouvoir assurer que nous répondons à nos responsabilités, qui sont d’offrir une éducation de la langue de la minorité aux ayants droit. »

Finalement, la LLO modernisée engage le gouvernement fédéral à estimer périodiquement le nombre d’ayants droit, et non de les dénombrer.

Comme pour les données économiques, la question des données sur les ayants droit était sur la table depuis des années. En 2017, la FCFA évoquait dans un rapport un sous-dénombrement des potentiels élèves francophones.

« Aussitôt qu’une école est construite, elle se remplit. Même quand des estimations sont faites, l’intérêt des gens est sous-estimé. Comme on le dit en anglais : “If you build it, they will come”. Dans nos communautés, c’est tout à fait évident, tant à propos des services fédéraux que des écoles », peut-on lire.

Le député conservateur Joël Godin, aussi membre du Comité, fait également un lien entre les données économiques et les ayants droit. À l’époque de la modernisation de la LLO, il avait milité pour que le dénombrement soit fait.

Dans une entrevue accordée à Francopresse le 17 janvier, il explique que les données linguistiques précises sont « un outil important pour permettre aux communautés linguistiques en situation minoritaire d’avoir un portrait réel ».