Par Marianne Dépelteau.
Cela selon une enquête de Statistique Canada. Le chiffre ne surprend pas les acteurs sur le terrain, qui partagent la frustration que ressentent plusieurs immigrants.
Parmi les immigrants francophones en situation minoritaire qui avaient besoin d’aide à l’intégration, 24 % l’ont obtenue en anglais seulement, selon l’Enquête sur la population de langue officielle en situation minoritaire de 2022 de Statistique Canada.
Quand la personne à la tête d’une famille immigrante francophone est accueillie seulement en anglais, « c’est une famille qu’on vient de perdre, c’est aussi simple que ça », laisse tomber la présidente de la Société de l’Acadie du Nouveau-Brunswick (SANB), Nicole Arseneau-Sluyter.
Selon elle, quand un immigrant francophone est uniquement servi par un fournisseur anglophone, ses chances de s’intégrer à la communauté francophone de sa région s’affaiblissent.
« Si la famille ou la personne immigrante est bien informée au départ qu’il existe des services [en français] », elle va en bénéficier avant et après son arrivée, appuie le directeur général adjoint de la Fédération acadienne de la Nouvelle-Écosse (FANE), Emmanuel Nahimana.
Pour des raisons méthodologiques, Statistique Canada n’est pas en mesure d’analyser les raisons derrière ce défaut de service pour un immigrant sur quatre. Mais des organismes francophones d’un peu partout au pays ont leurs hypothèses.
Services en français inégaux
En Nouvelle-Écosse, explique Emmanuel Nahimana, les nouveaux arrivants francophones n’ont pas accès aux mêmes services de garde que les anglophones, par exemple. Ces services permettent aux parents de faire garder leurs enfants pendant qu’ils bénéficient de services d’établissement, tels que des formations linguistiques.
« Même dans une province officiellement bilingue comme le Nouveau-Brunswick, il y a des défis », se désole Nicole Arseneau-Sluyter. Celle-ci explique que l’offre dépend beaucoup des régions.
« Je n’ai jamais entendu qu’on va à Caraquet et qu’on ne reçoit pas nos services en français. […] Chez nous à Saint-Jean, oui », précise-t-elle. Non seulement les services sont insuffisants, mais la majorité anglophone est tellement forte que « lorsque les immigrants francophones ou allophones arrivent, on les dirige vers l’anglais », témoigne la responsable.
« Parce qu’il faut comprendre que si tu veux travailler à Saint-Jean, tu parles l’anglais. Sauf si tu travailles en service de garde ou dans une école francophone. »
En Ontario, à North Bay, à Temiskaming Shores et à Sault-Ste-Marie, par exemple, « il y a seulement des services d’établissement anglophones », recense le coordonnateur du Réseau de soutien à l’immigration francophone du Nord de l’Ontario, Thomas Mercier. « Autre exemple : en Ontario, les services en français pour réfugiés se trouvent uniquement à Cornwall. »
La grandeur du territoire n’aide pas, ajoute-t-il. « On a un service d’établissement à Thunder Bay qui couvre le district de Kenora, Thunder Bay et de Rainy River », soit presque tout le nord-ouest de la province.
Pistes de solutions
Au Nunavut, l’accès aux services en français est généralement difficile, surtout quand on sort de la capitale, Iqaluit, constate Laurent Monty Etoughé, gestionnaire des politiques publiques, des relations intergouvernementales et du développement à l’Association des francophones du Nunavut (AFN).
C’est pour cette raison que l’AFN réfléchit à la création de guichets uniques de services en français. « L’idée, c’est de se dire qu’on a un endroit précis. Si par exemple, vous arrivez nouvellement au Nunavut, vous pouvez vous adresser à ce guichet-là pour savoir quelles sont les démarches que vous devez entreprendre. »
La directrice du développement économique de l’Association franco-yukonnaise, Édith Bélanger, avance une autre solution : « De nos jours, même dans une communauté qui n’a pas l’organisme qui offre les services, on est [parfois] capable d’offrir les services d’établissement en ligne. »
De l’information, mais pas pour tous
Les futurs résidents permanents reçoivent trois lettres de la part du ministère Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC), dans lesquelles sont mentionnés l’éligibilité aux services pré-départ, dont le programme Connexions Francophones. « Les liens sont inclus pour les amener vers la page d’inscription », écrit un porte-parole d’IRCC, Rémi Larivière.
Connexions Francophones redirige ensuite les futurs immigrants vers les services d’établissement francophones.
« En 2023-2024, l’utilisation des services d’établissement et de réinstallation francophones a continué d’augmenter, 64 % des nouveaux arrivants francophones [ont eu] accès à au moins un service offert par un fournisseur de services francophone, comparativement à 51 % en 2019-2020 », lit-on dans un rapport d’IRCC.
Mais d’autres, tels que les réfugiés, ne sont jamais informés de cette façon. Ça peut aussi être le cas des nouveaux arrivants qui sont d’abord passés par le Québec, indique Thomas Mercier.
« Le Yukon, pour plusieurs, est une deuxième ou troisième destination », explique Édith Bélanger. Elle voit plusieurs immigrants transiter par d’autres provinces, dont le Québec, avant d’atterrir au Yukon. Le cas échéant, aucun message de promotion des services en français n’est envoyé.
Une obligation bafouée par des fournisseurs anglophones
En Saskatchewan, l’accueil des réfugiés et les services de réinstallation sont offerts uniquement dans des points de chute anglophones à Regina, à Saskatoon, à Prince Albert et à Moose Jaw.
« Ils peuvent les référer à nous, dit le directeur général de l’Assemblée communautaire fransaskoise (ACF), Ronald Labrecque. Mais s’ils ne le font pas, on ne les reçoit jamais. » Du côté des résidents permanents, poursuit-il, « s’ils n’ont pas eu un contact à travers nos services de pré-départ, très peu se font référer à nous ».
Les fournisseurs anglophones de services d’établissement et d’aide à la réinstallation sont pourtant obligés de diriger les nouveaux arrivants francophones vers les fournisseurs francophones, et vice-versa. C’est inscrit dans les ententes signées avec IRCC, confirme par courriel le porte-parole Rémi Larivière.
Les fournisseurs anglophones de services d’établissement et d’aide à la réinstallation doivent :
- s’informer de la langue de préférence de leurs clients;
- informer les clients qu’il existe des services en français;
- orienter les clients vers des fournisseurs de services francophones, pour ceux qui désirent y accéder; et,
- établir des partenariats avec des fournisseurs de services francophones de la région.
« Ayant parlé à plusieurs personnes qui sont arrivées comme résidents permanents qui étaient francophones, mais qui pouvaient aussi se débrouiller en anglais, c’est ça qu’ils disent : “Personne ne m’a demandé si je voulais un service en français, ils ont vu que j’étais capable de communiquer en anglais, alors ils ont fait tout en anglais” » rapporte Ronald Labrecque.
« Si j’avais su »
Que ce soit pour parler d’écoles, de services en santé, de spectacles ou d’occasions d’emploi en français; les fournisseurs francophones restent mieux placés, selon Thomas Mercier. « Une agence anglophone ne connait pas nécessairement la minorité francophone. »
« Le mandat des anglophones, ce n’est pas de promouvoir le français, c’est d’informer. Il y a une différence », confirme Emmanuel Nahimana. Ce qu’il entend le plus de celles et ceux qui ne sont pas passés par des services francophones, c’est : « Si j’avais su. »
C’est aussi ce qu’entend « très régulièrement » Ronald Labrecque, qui a souvent écouté des immigrants se plaindre d’avoir appris qu’ils pouvaient envoyer leurs enfants à l’école en français des mois après leur arrivée.
L’ACF a même déjà entendu des immigrants anglophones parler de poursuivre en justice le gouvernement tellement ils étaient « découragés » et « outrés », confie-t-il, car ils estimaient que le gouvernement les menait droit vers l’échec en les informant mal sur les possibilités d’être bilingues.
Ceux qui ont des enfants comprennent trop tard que de ne pas parler français enlève des possibilités à leurs enfants, comme de travailler au gouvernement ou d’aller en politique.
À la connaissance de M. Labrecque, ces intentions de poursuites ne se sont jamais concrétisées.