Alors que l’on nous répète qu’il faut consommer local pour protéger notre économie contre les nouvelles barrières commerciales imposées par les États-Unis, les différents paliers de gouvernements du Canada font exactement le contraire lorsqu’il s’agit d’information.

Plutôt que d’investir dans les médias locaux qui assurent un journalisme rigoureux et de proximité, ils choisissent d’injecter des millions en publicité sur des plateformes étrangères comme Meta, Google et TikTok, qui non seulement ne produisent aucun contenu d’information mais contribuent activement à la diffusion de fausses nouvelles, à la mise en danger de nos jeunes et à la polarisation de nos sociétés.

Un rapport clair : la survie des médias locaux est menacée

En tant que directrice de La Liberté, j’ai eu l’honneur de participer à la conférence de Charlottetown, organisée par la Fondation des prix Michener et la Fondation Rideau Hall en octobre 2024, qui a réuni plus de 60 représentants de médias locaux de partout au pays. De cette rencontre est né un rapport essentiel publié par le Forum des politiques publiques : Remettre le local au cœur des médias locaux.

Ce document, consultable sur Internet, met en lumière l’ampleur de la crise qui frappe les médias locaux et propose des solutions concrètes pour inverser la tendance.

Le constat est sans appel : les gouvernements canadiens doivent réorienter une part significative de leurs investissements publicitaires vers les médias locaux.

Selon un article du National Post publié le 12 février 2025 (“When it comes to federal advertising, the government should ‘buy Canadian’”), le gouvernement fédéral a dépensé plus de 75 millions de dollars en publicité en 2024. Sur ce montant, près de 40 millions ont été alloués à la publicité numérique, dont plus de 6,5 millions directement aux réseaux sociaux comme Facebook et Instagram. En comparaison, l’ensemble des journaux imprimés du pays n’a reçu que 1,4 million, soit seulement 2 % du budget publicitaire fédéral.

Encore plus préoccupant, le gouvernement fédéral continue d’injecter des fonds publics dans TikTok, une plateforme dont les effets nocifs sur la jeunesse et le rôle dans la désinformation ont été largement dénoncés. En 2023, Ottawa a dépensé 1,1 million de dollars en publicité sur TikTok, un montant qui dépasse l’ensemble des investissements publicitaires fédéraux dans les médias imprimés. Ce déséquilibre est non seulement une injustice pour les médias locaux, mais une menace pour la sécurité des jeunes, ainsi que pour la qualité et la diversité de l’information accessible aux citoyens.

Il est impératif que les gouvernements revoient leurs priorités et adoptent une approche responsable qui favorise les médias d’ici plutôt que d’enrichir des plateformes étrangères opaques et incontrôlables.

Le Manitoba doit devenir un leader en démocratie et en information locale

Le Québec l’a compris depuis longtemps : soutenir les médias locaux, c’est protéger la démocratie. Grâce à un crédit d’impôt de 35 % sur la masse salariale des journalistes, plusieurs médias québécois ont pu stabiliser leurs effectifs et continuer à produire du contenu de qualité. Ce modèle fonctionne, et il est temps que le Manitoba prenne le leadership en adoptant une approche similaire. Le Premier ministre Wab Kinew avait annoncé vouloir prendre des mesures en faveur des médias locaux dans son dernier discours du Trône. Nous sommes prêts à travailler avec lui, mais il faut faire vite.

Un tel crédit pour les journaux représenterait environ 2,5 millions de dollars par an à l’échelle provinciale, une somme dérisoire en comparaison des bénéfices à long terme. Cet investissement permettrait de préserver des emplois journalistiques, d’assurer une couverture rigoureuse des enjeux locaux et de lutter contre la désinformation qui prospère en l’absence de médias crédibles.

Investir 25 % des budgets publicitaires gouvernementaux dans les médias locaux : une évidence

Le gouvernement de l’Ontario a récemment adopté une politique exemplaire en réservant 25 % de son budget publicitaire aux médias locaux. Si le Manitoba suivait cet exemple, nous investirions dans un secteur vital pour notre société, plutôt que d’alimenter les profits de multinationales qui ne rendent aucun compte à nos citoyens et ne paient aucun impôt ici.

Ce n’est pas une question partisane, mais une question de logique économique, sociale et démocratique. Un dollar investi dans La Liberté, le Free Press, The Carillon ou tout autre média régional ne finance pas une plateforme opaque et algorithmique, mais des journalistes qui posent des questions, qui scrutent les décisions gouvernementales et qui donnent une voix aux citoyens et les amène à réfléchir avec nuance.

L’innovation ne suffit pas si les règles du jeu sont truquées

On nous répète sans cesse que « les médias doivent innover » pour survivre. C’est exactement ce que nous faisons à La Liberté. Nous avons diversifié nos revenus, renforcé notre présence numérique et obtenu le statut d’Organisation journalistique enregistrée (OJE), ce qui nous permet d’émettre des reçus pour fins d’impôt et de bénéficier du soutien philanthropique de notre communauté (j’en profite pour remercier nos généreux donateurs et donatrices!!). Mais l’innovation ne peut pas compenser un désavantage structurel majeur : les gouvernements eux-mêmes détournent leurs investissements publicitaires des médias canadiens au profit des géants américains et chinois du Web.

Exiger que nous survivions par l’innovation tout en nous retirant nos principales sources de financement, c’est comme dire à un agriculteur qu’il doit moderniser son exploitation tout en subventionnant massivement l’importation de produits étrangers. C’est une injustice économique flagrante qui doit cesser!

Les gouvernements doivent choisir : renforcer la démocratie ou alimenter la désinformation

Nous vivons à une époque où la polarisation et les fausses nouvelles représentent un danger réel pour la stabilité sociale. Chaque fermeture de journal, chaque coupure dans une salle de rédaction laisse un vide qui est comblé par des contenus souvent biaisés, partisans ou carrément faux.

L’inaction des gouvernements face aux dérives des plateformes numériques ne peut plus durer. Comme le souligne l’éditorial du National Post du 2 février 2024, “Governments must halt ads on platforms that enable child abuse”, des enquêtes ont révélé que des réseaux sociaux comme Meta et TikTok ne prennent pas au sérieux la protection des jeunes contre l’exploitation en ligne, la diffusion de fausses nouvelles et la manipulation algorithmique.

Il est inadmissible que des fonds publics continuent d’alimenter ces plateformes, qui non seulement affaiblissent l’écosystème médiatique local, mais participent aussi à la désinformation et exposent nos jeunes citoyens à des contenus hyper dangereux et nuisibles. Tant que ces entreprises refuseront de rendre des comptes sur leurs pratiques, il est impératif que nos gouvernements cessent d’y injecter des millions en publicité et réorientent ces investissements vers les médias locaux, garants d’une information rigoureuse et vérifiée. L’avenir de notre démocratie et la sécurité de nos citoyens en dépendent.

Un appel au courage politique

Les gouvernements qui auront le courage de renverser cette tendance seront des leaders en matière démocratique et économique. Ils démontreront qu’ils ont compris l’urgence de préserver une presse forte et indépendante.
Nous appelons donc le Gouvernement du Manitoba et tous les autres paliers de gouvernement (y compris municipaux) à :

1 – Réserver au moins 25 % de leurs budgets publicitaires aux médias locaux.
2 – Instaurer un crédit d’impôt de 35 % sur la masse salariale des journalistes pour garantir la stabilité des emplois dans l’information locale.

Ces mesures ne représentent qu’une infime fraction des budgets publics, mais elles pourraient faire toute la différence pour l’avenir du journalisme au Canada. Si nous voulons défendre notre démocratie, nous devons défendre ceux qui l’informent. Et ce, de toute urgence!

À La Liberté, nous continuerons de nous battre pour une presse forte, indépendante et enracinée dans sa communauté. Mais nous avons besoin que nos gouvernements fassent leur part. Il est temps d’agir!