Pour Thierry Lapointe, professeur spécialiste en politique internationale à l’Université de Saint-Boniface ce sont les secteurs de l’agriculture, de la transformation alimentaire, et de l’industrie porcine qui sont directement touchés.
En réponse à l’instauration de tarifs douaniers par l’administration Trump, le 4 mars, lors d’une conférence de presse donnée à Ottawa, le premier ministre Justin Trudeau avait annoncé l’imposition d’une taxe à hauteur équivalente de 25 % sur près de 155 milliards $ de marchandise américaine.
Alors qu’en 2024, 72,9 % des exportations provenant du Manitoba étaient à destination des États-Unis, le premier ministre Wab Kinew a tenu à rassurer les Manitobains en annonçant le « report d’impôts pour les entreprises touchées par la taxe douanière de Trump ».
« Cela permet aux entreprises de conserver leurs liquidités et de protéger leurs emplois. Nous allons continuer à nous battre pour vos familles et notre économie », a-t-il précisé dans son tweet.
Le 6 mars, le président américain a annoncé mettre en pause jusqu’au 2 avril les droits de douane de 25 % pour les produits mexicains et canadiens respectant le cahier des charges de l’accord de libre-échange Canada-États-Unis-Mexique.
Manitoba : les secteurs d’activité visés
Agriculture, transports, industrie porcine… Même si toutes les industries manitobaines seront impactées par les tarifs, de nombreux secteurs sont particulièrement visés. « Pour le moment, ce sont les secteurs de l’agriculture, de la transformation alimentaire, ou encore de l’industrie porcine qui sont directement touchés », rapporte le professeur Thierry Lapointe qui précise que « les premières impactées sont particulièrement les petites entreprises des secteurs primaires et secondaires qui ont des relations étroites avec les États-Unis ».
De son côté, le secteur du transport s’inquiète également. Dans un communiqué du 4 mars, la Manitoba Trucking Association a demandé un allègement à la suite des tarifs douaniers de 25 %. Ces taxes « vont dévaster une industrie du transport routier qui souffre déjà de la pire économie de fret depuis 40 ans », signalait l’association, alors que le transport par camion assure aujourd’hui près de 70 % de la valeur des échanges commerciaux entre le Canada et les États-Unis.
Pour le spécialiste en politique internationale, le secteur le moins vulnérable au Manitoba pourrait être celui de l’industrie minière. « La province dispose de minerais dits ‘rares’ et il est possible que ce secteur soit relativement épargné par les risques tarifaires », souligne-t-il. Si certains secteurs sont moins vulnérables que d’autres, « il est toujours envisageable de trouver de nouveaux marchés surtout en Asie », observe Thierry Lapointe qui tient néanmoins à rappeler que « la proximité géographique fait que les clients des fermes canadiennes sont principalement américains ».
« Le Manitoba est moins dépendant que d’autres »
Par rapport aux autres provinces, le « Manitoba est moins dépendant que d’autres », affirme Thierry Lapointe, qui souligne des enjeux plus importants par exemple pour le Nouveau-Brunswick, dont les exportations vers les États-Unis représentent 92 %. À titre de comparaison, le taux d’exportations vers les États-Unis venant du Manitoba est de 72,9%, en Ontario il est de 83%, et en Alberta de 89%. Par ailleurs, « l’atout pour le Manitoba est que son réseau d’infrastructure permet d’interconnecter l’ensemble du Canada avec le sud des États-Unis », souligne-t-il.
Mais alors que le pays tout entier est touché par cette guerre tarifaire, Ottawa a déjà affirmé son ambition de faciliter le commerce intérieur entre les Provinces et Territoires. Dans une certaine mesure, « faire sauter les barrières tarifaires interprovinciales peut permettre aux entreprises de compenser la diminution de leurs carnets de commandes », souligne Thierry Lapointe. « Mais le marché américain demeure loin devant les marchés des provinces canadiennes, on ne peut pas imaginer pouvoir écouler tous nos surplus entre les provinces, car ces marchés sont trop petits pour absorber les quantités », tient-il à rappeler.
Pour le professeur, l’enjeu du commerce intérieur canadien en réponse à ces défis relève surtout d’un problème d’économie politique. « Si l’on veut adresser certains enjeux structurels, ça demande un changement de politique industrielle », observe-t-il en soulignant que « développer une politique industrielle se joue à plusieurs niveaux, avec une collaboration provinciale et fédérale ».
Mais au Canada, « la plus grande vulnérabilité est probablement notre capacité de transformation des matériaux, qui est limitée dans plusieurs secteurs », soulève le professeur. En effet, « on dispose d’énormément de ressources, de grandes capacités productives à plusieurs niveaux mais ce qui manque réellement c’est notre capacité à les transformer », ajoute-t-il.
Quelle suite dans ce climat d’incertitude?
Au Manitoba, c’est le contexte d’incertitude qui paralyse les entreprises. Pour Thierry Lapointe, bien que le gouvernement cherche à temporiser, « les travailleurs sont dans tous les cas impactés » donc les marges de manœuvre pour les protéger semblent limitées.
Le 4 mars, le gouvernement fédéral a annoncé qu’il soutiendrait les travailleurs dans cette crise. « Ça pourrait être une bonne manière d’atténuer le choc, semblable aux mesures qui avaient été prises pendant la COVID », observe-t-il.
Pour le spécialiste, l’administration Trump applique une politique néo-mercantiliste qui pénalise autant les entreprises que les consommateurs. « Les tarifs peuvent développer certains secteurs, ça a déjà été fait par le passé, mais de là à croire que des politiques protectionnistes qui touchent tous les secteurs pourraient avantager tout le monde, c’est une énorme erreur ».
D’après lui, aux États-Unis, les seuls ayant applaudi l’instauration des tarifs sont les secteurs en déclin, car « ça leur permettra de compenser leur non-compétitivité ».
« Si Donald Trump maintient ses politiques, ça va avoir des effets catastrophiques », souligne le professeur, qui rappelle que le climat d’incertitude fait perdre de nombreux investissements pour les entreprises canadiennes, et « peut aggraver l’inflation et déclencher une récession ».