Par Michel Lagacé.

Un de ces projets vise à supprimer l’exigence règlementaire par ailleurs peu respectée de chanter tous les jours le God Save the King dans les écoles du Manitoba. Bien que presque toutes les divisions scolaires n’observent pas cette exigence, le Règlement sur les manifestations patriotiques dans les écoles stipule que, ‘au terme de chaque jour de classe ou de toute manifestation d’ouverture tenue par l’école, les élèves chantent le premier couplet de la chanson « God Save the King ».

À noter que, même dans la version française de cette loi manitobaine, le titre de l’hymne royal est cité en anglais – avis à la Division scolaire franco-manitobaine! De fait, une version bilingue et une version française (Dieu protège le Roi) existent pour une utilisation officielle au Canada.

Ce chant remonte à l’Angleterre du 18e siècle et sert d’hymne national au Royaume-Uni. Il fallait bien que, tôt ou tard, le Canada se rende compte que faire chanter l’hymne national d’un autre pays aux élèves des écoles publiques du Manitoba n’était plus en résonance avec le monde dans lequel nous vivons. De plus, désirer qu’un monarque règne sur nous ne colle plus à la réalité d’un pays peuplé d’individus venus des quatre coins du monde. Et souhaiter un règne long et victorieux à une monarchie qui, après des années de campagne, de souffrances et d’injustices, a enfin officiellement aboli l’esclavage en 1833, était tout à fait offensant pour les descendants de tous ceux et de toutes celles qui sont tombés sous la force armée de l’Empire britannique.

Au Manitoba, une controverse a éclaté lorsque la division scolaire de Mountain View a décidé de réintroduire le God Save the King dans ses écoles. Avec raison, des voix ont dénoncé cette décision qui brouille les progrès vers la vérité et la réconciliation.

Car l’hymne royal glorifie une époque où l’impérialisme britannique opprimait les peuples autochtones, confisquait leurs terres et pratiquait un génocide culturel. De fait, ce chant est un rappel inadmissible de la domination coloniale infligée aux peuples autochtones du Canada. Les opposants à la décision de la Division scolaire affirment qu’un tiers des élèves sont autochtones. Comment une division scolaire peut-elle être sourde à ce point en 2025?

Une attitude d’autant plus condamnable que c’est ce même impérialisme qui a dominé la vie publique au Manitoba dès sa fondation en 1870. Les francophones aussi en savent quelque chose. En 1890, le Official Language Act a aboli l’usage du français dans les tribunaux et la législature, au mépris de la Loi sur le Manitoba. Et en 1916, la législature manitobaine a carrément rendu illégal l’usage du français comme langue d’enseignement dans les écoles publiques du Manitoba. En dépit de sa constitution, on a voulu faire du Manitoba ce qu’on a longtemps appelé « a British province ».

En considérant le jeu de domination qui a été à l’œuvre pendant si longtemps, il est difficile de comprendre comment la division scolaire de Mountain View est arrivée à imaginer que chanter l’hymne royal en classe à chaque jour entretiendrait des sentiments de patriotisme, alors qu’il s’agit plutôt d’un rappel douloureux d’assujettissement.

Le gouvernement Kinew a tout à fait raison de supprimer une fois pour toutes l’exigence de chanter le God Save the King dans les écoles du Manitoba. En même temps, l’exigence de chanter notre hymne national est toujours en vigueur et lui donne toute sa place au nom de la vieille sagesse biblique qu’on ne peut pas servir deux maîtres en même temps.