Par Michel LAGACÉ.
À en croire les chefs des deux partis principaux, le Canada peut se permettre des réductions d’impôts même si le budget fédéral est déficitaire depuis plus d’une décennie et la dette fédérale accumulée s’établissait à 1 236 milliards de dollars au 31 mars 2024.
Le Premier ministre, Mark Carney, a promis une réduction d’un point de pourcentage dans la tranche d’imposition la plus basse. Le site Web du Directeur parlementaire du budget évalue le coût de cette réduction à 5,9 milliards de dollars. Pour sa part, le chef de l’opposition, Pierre Poilievre, propose une réduction dans la même tranche d’imposition qui coûterait 7 milliards de dollars au cours de chacune des deux premières années et 14 milliards de dollars par année par la suite.
Mais Pierre Poilievre va plus loin : il prévoit financer ces réductions d’impôt en réduisant les dépenses du gouvernement. Et quelles coupures propose-t-il? Il se dit prêt à réduire les sommes dépensées sur la bureaucratie, les consultants, les dons aux amis du gouvernement et l’aide aux pays étrangers.
Il reste à savoir quel impact ces mesures auraient au Canada. Quelle serait la conséquence d’une réduction de la bureaucratie? Il s’agirait évidemment d’une réduction du personnel qui dessert le public. Il faudrait donc savoir quels services ou programmes Pierre Poilievre éliminerait pour réaliser des milliards de dollars d’économies. Quant aux consultants, le chef de l’opposition ne précise pas quels services ou quels spécialistes ne seraient plus à la disposition du gouvernement. En ce qui regarde les « amis du gouvernement », il n’en donne aucun exemple et se limite à une simple propagande politique.
Clairement, les coupures les plus importantes seraient effectuées dans l’aide internationale. Au Canada, une partie de ces dépenses ne sort pas du pays. Elles viennent en aide aux programmes de réinstallation des réfugiés comme les Afghans et les Ukrainiens, ainsi qu’aux soins de santé et d’hébergement temporaire pour les personnes qui demandent l’asile au Canada. Quant à la part dépensée à l’étranger, des sommes importantes sont destinées à répondre aux conflits en Ukraine et au Soudan, ainsi qu’à la faim en Haïti. À cela s’ajoutent l’aide humanitaire lors de catastrophes naturelles, de conflits ou de crises sanitaires, la réduction de la pauvreté dans les pays à faible revenu, et la lutte contre les maladies infectieuses et les changements climatiques.
Pierre Poilievre ne prend pas en compte le fait que le Canada bénéficie de la stabilité internationale à laquelle cette aide contribue. Et au-delà de toutes ces considérations, la proposition d’éliminer l’aide internationale fait fi de l’obligation morale d’aider les personnes dans le besoin. À en juger par le soutien apporté aux Ukrainiens depuis trois ans, on peut déduire que les Canadiennes et les Canadiens ont compris que leur intérêt est d’aider les populations dans le besoin plutôt que de s’occuper de leurs seuls besoins immédiats.
Que Pierre Poilievre doute de cet intérêt de la part de la population, c’est une chose. Mais qu’il se justifie au nom de « Canada Fìrst », un slogan qui n’est qu’un écho du « America First » répété ad nauseam par le Président Donald Trump, est autre chose. D’autant plus que ce slogan a été associé avant et pendant la Seconde Guerre mondiale à une politique isolationniste dont certains représentants affichaient ouvertement des tendances pronazies et antisémites.
Mais il y a pire encore : ce slogan est identifié au groupe haineux suprémaciste blanc du Ku Klux Klan. Il a donc un historique qui remonte à plus de cent ans, avec des connotations allant de l’antiexpansionnisme et du protectionnisme commercial au racisme et à l’antisémitisme. Étant donné ces associations douteuses, on se demande pourquoi un chef politique canadien adopte un tel slogan aujourd’hui.
Pour évaluer ces promesses électorales, il faut se demander si elles sont cohérentes avec cette idée incontournable que le Canada n’est pas seul dans le monde.