« Je préfère avoir affaire à un candidat libéral plutôt qu’un conservateur », avait lancé Donald Trump le 19 mars sur Fox News, au regard des prochaines élections fédérales canadiennes.

Et cette déclaration, qui est loin d’être passée inaperçue, pourrait bien n’être qu’une illustration de la puissante influence de Donald Trump dans ces élections fédérales. « Ce type de déclarations peut être instrumentalisé par les acteurs politiques canadiens, surtout en période de campagne », explique Thierry Lapointe, professeur spécialiste en politique internationale à l’Université de Saint-Boniface.

En effet, alors que la campagne fédérale, qui prendra fin le 28 avril, se fait déjà dans l’ombre des déclarations de la Maison blanche, les candidats et chefs de parti n’ont pas hésité à entamer les hostilités en accusant leurs opposants d’entretenir parfois une certaine proximité avec le président des États-Unis.

Une campagne guidée par Donald Trump?

« Au-delà des tarifs, les déclarations du président américain structurent la campagne électorale et amène les chefs de parti à mettre l’accent sur la souveraineté canadienne, jouant sur un fort patriotisme », souligne le spécialiste.

Les enjeux de ces élections gravitent en effet autour des réponses aux mesures de l’administration Trump liées à l’agenda de l’America First. « Ça structure le message car il s’agit de se demander comment les partis vont se positionner et ça va donc avoir une influence déterminante sur la manière dont la campagne est menée ».

Mais au-delà du contenu des déclarations du président états-unien, ce dernier occupe actuellement une place centrale sur la scène médiatique, influençant de fait la campagne électorale. « C’est ce que Trump veut, il s’alimente de cette place médiatique, il en joue », affirme Thierry Lapointe.

Trump : le défi pour les conservateurs

Pour le spécialiste, les « politiques radicales que Donald Trump cherche à mettre en œuvre, notamment à travers une rhétorique populiste extrêmement clivante, va très certainement avoir des impacts sur les conservateurs ». En effet, alors que Pierre Poilievre est accusé d’utiliser la même rhétorique populiste que le président états-unien, le défi actuel pour lui et son parti est désormais de s’en distancer.

« En proposant son Canada First, inspiré du America First de Donald Trump, il se retrouve face à un problème car c’est le fameux America First qui remet tout en cause et met le Canada en difficulté aujourd’hui », souligne Thierry Lapointe.

Avec les retentissements que les propos de Donald Trump ont sur la campagne, les équipes de Pierre Poilievre vont devoir naviguer à vue. « Leur plus grand défi aujourd’hui est d’être en mesure de se présenter comme un parti pouvant répondre aux menaces de Trump, tout en se distançant de l’idéologie républicaine ».

Ainsi, aujourd’hui le débat se concentre « sur le parti étant capable d’offrir la meilleure série de politiques en réponse aux tarifs », souligne le spécialiste. Alors les réactions aux déclarations de Donald Trump sur la scène politico-médiatique sont déterminantes pour l’avenir des partis. D’ailleurs, au regard des récents sondages, cette situation « pourrait entraîner les électeurs indécis à retourner vers le bateau libéral », observe Thierry Lapointe. « Ce rebond libéral est sûrement lié à la nomination de Mark Carney et à sa position à l’égard des États-Unis ».

Une influence états-unienne… pas si nouvelle

Mais si le contexte est particulièrement inédit, le spécialiste tient à rappeler que les enjeux dont il est question lors de la campagne ne sont pas vraiment nouveaux. « Les questions économiques, tarifaires et de libre échange ont toujours été à l’avant-plan dans les campagnes électorales fédérales, bien que la question principale se déplace aussi sur les enjeux du coût de la vie, du logement ou encore de la taxe carbone », explique-t-il.

« Mais aujourd’hui, dans ce nouveau contexte, on se demande comment les partis seront en mesures de répondre à la menace que constituent les tarifs, qui touchent autant les Canadiens que les entreprises canadiennes  », précise-t-il.

Les relations canado-américaines ont toujours été très étroites, alors l’influence des États-Unis dans des élections canadiennes a déjà été constatée par le passé. « Ce n’est pas la première fois qu’on observe les impacts de cette relation dans une campagne électorale », souligne le professeur.

En effet, en 1911, en pleine campagne électorale, les États-Unis et le Canada négociaient un nouvel accord de libre-échange. « La campagne électorale se jouait et la question centrale était celle de la souveraineté canadienne, à l’époque les déclarations d’hommes poli- tiques états-uniens ont largement influencé la campagne ».

Rebelote en 1988, avec l’accord de libre-échange canado-américain. « À l’époque, comme aujourd’hui, les déclarations des politiques conservateurs qui voulaient négocier l’entente ont fortement structuré le débat aussi », affirme-t-il.