Pourtant, par amour, ils sont encore nombreux à ouvrir les portes de leur foyer pour offrir la meilleure vie possible aux enfants qui en ont besoin.

Ils sont près de 700 à avoir rejoint la page Facebook de la Manitoba Foster Parents Association (MFPA).

C’est sous l’impulsion de Jean Choiselat, francophone originaire de La Broquerie que l’association a vu le jour en 2023.

À la sortie d’une rencontre entre parents d’accueil, Jean Choiselat entend répondre aux plaintes et aux inquiétudes des parents.

Il faut savoir que les familles qui accueillent et s’occupent d’enfants, ayant perdu tout lien avec leurs parents ou leurs familles, reçoivent une rémunération de la part de l’état, pour veiller au bien-être de ces enfants. Traduit de l’anglais « basic maintenance rate », l’on parlera ici d’« allocation de famille d’accueil ».

« Lorsque j’ai entendu que la rémunération n’avait pas augmenté depuis tant d’années, je n’en revenais pas. En quittant la rencontre, à peine arrivé dans la voiture, j’ai créé un groupe Facebook pour rassembler toutes les familles d’accueil. »

En effet, pendant 13 ans, le montant de cette allocation est resté inchangé au Manitoba. À la mi-février 2025, le taux a finalement été revu à la hausse.

Depuis 2012, les familles d’accueil reçoivent 22,11 $ par jour par enfant. Dorénavant, l’allocation sera comprise entre 24,56 $ et 34,72 $ dans certains cas, pour les familles qui vivent dans le nord de la Province par exemple, où le prix du panier d’épicerie est plus dispendieux.

La MFPA avait alors pour but « de faire du bruit », explique Jean Choiselat.

« Avant cela, il n’existait aucune structure pour que les parents puissent s’organiser, faire entendre leur voix. La plupart du temps, nous étions seuls, parfois sans aide. Après la création du groupe, j’ai commencé les démarches pour faire enregistrer le nom de l’organisation et en faire un organisme à but non lucratif. » 

Toutefois, le père de famille réalise rapidement qu’il n’est pas la bonne personne pour représenter l’association. C’est là que Jamie Pfau entre en scène.

Aujourd’hui présidente de la MFPA, Jamie Pfau est doctorante en travail social, et toutes ses recherches portent sur la protection de l’enfance et le placement familial. Pendant treize ans, elle a recueilli et élevé huit enfants.

« Je peux assurer que cette augmentation ne suffit pas. L’épicerie, les transports, le logement, tout a augmenté drastiquement. Si ce n’était pas par amour pour ces enfants, aucun d’entre nous ne continuerait dans cette voie. Les parents d’accueil sont endettés sur leur carte de crédit, ou bien ils empruntent de l’argent. Ils doivent réduire leur budget, se priver, mais ne se plaignent pas, car ils sont tellement inquiets pour l’avenir de ces enfants. »

Le dernier rapport de Statistique Canada, datant de 2023, révèle que pour une famille de classe moyenne, le taux de base pour élever un enfant au pays, est en moyenne de 17 235 $ par an. Soit environ 47,21 $ par jour.

On est donc bien loin du compte. Comme le souligne Jean Choiselat.

« Lorsque l’on nous donne le détail de la somme versée, on est censé nourrir les enfants avec 7 $ par jour. Alors quand on a un jeune de 13 ans, un arrêt chez McDonald et ce sont deux jours de budget qui disparaissent ». S’il s’en amuse un peu, le père de famille reste ferme sur le fait que cela ne suffit pas.
Jean Choiselat et son épouse ont recueilli deux garçons orphelins alors âgés de 6 et 18 mois, ils ont aujourd’hui 13 et 15 ans et sont tous les deux en école d’immersion française.

« Ils pratiquent tous les deux le hockey au niveau compétitif. L’année passée, cela nous a coûté 6 000 $. Les vêtements, les meubles, les affaires scolaires, tout cela sort de la poche des parents. »

Les discours de Jean Choiselat et Jamie Pfau, et cela vaut la peine d’être souligné, ne relèvent pas tant de la grogne que d’un sentiment de frustration.

« Quand j’ai rencontré mon épouse, elle venait de les recueillir. Ils me connaissent comme leur père et ils sont mes enfants. Ils ont les mêmes opportunités. Il faut s’assurer que l’on puisse leur donner toutes les clés pour réussir. »

Même son de cloche du côté de la présidente de la MFPA, « lorsque l’on élève ces enfants, nous faisons tout ce qui est en notre pouvoir pour que ces enfants réussissent ».

Il faut noter tout de même que les agences de services à l’enfance et à la famille, financés par la Province, payent les inscriptions à l’école, certains rendez-vous médicaux aussi sont pris en charge. Mais la réalité est parfois plus complexe.

Dans une grande majorité des cas, les enfants qui ont besoin d’une famille d’accueil sont des enfants traumatisés, ou psychologiquement fragilisés.

Jamie Pfau se souvient d’une expérience personnelle vécue avec l’un de ses enfants. « Nous avions désespérément besoin de l’emmener chez un psychologue. Le seul thérapeute disponible vivait à Selkirk. Alors pendant plus d’un an, chaque semaine, nous l’y avons conduit pour ses séances, à nos frais. »

La détresse psychologique de ces enfants peut avoir d’autres conséquences pour les familles d’accueil.
« Ici, nous ne rejetons absolument pas la faute sur l’enfant, nous sommes parfaitement conscients que cela peut se produire. Lorsqu’un enfant traumatisé détruit complètement une chambre, c’est aux familles de la réparer, parfois plusieurs fois par an. » 

De plus, Jamie Pfau indique que les foyers des familles d’accueil doivent répondre à certains critères.
« Nous devons avoir certains détecteurs d’alarme, il faut une grande maison, car chaque enfant doit avoir une chambre individuelle. Il faut que la maison soit un logement moderne avec des équipements modernes, les fenêtres par exemple doivent être d’une certaine taille, la chambre aussi. » Des critères qui nécessitent par moment des travaux, à la charge une fois encore, des parents.

« Je suis tout à fait d’accord sur le fait de respecter ces critères. Ce sont simplement des choses que les agences nous demandent et qui s’accumulent chaque année. »

Pour des raisons financières, beaucoup de familles d’accueil finissent par ne pas réitérer l’expérience. Or le besoin en famille est toujours important. Selon les dernières statistiques disponibles, qui datent de 2014, il y avait plus de 10 000 enfants placés en famille d’accueil cette année-là. Selon Jamie Pfau, ces chiffres sont probablement restés similaires depuis. En tout cas « s’ils n’ont pas augmenté, ils n’ont certainement pas diminué ».

Apporter un peu de paix aux autres

Jamie Pfau et son mari Kevin Pfau ne sont pas seulement parents d’accueil. Étudiants à l’Université du Manitoba, ils ont occupé le poste d’assistant de recherche pour le programme RESOLVE. Le programme de recherche a pour objectif de comprendre et identifier les causes de la violence domestique à l’égard des femmes et des jeunes filles. Au cours de leur expérience avec RESOLVE, Jamie et Kevin Pfau ont eu l’envie de faire quelque chose.

En octobre 2020, après avoir mis assez d’argent de côté, le couple fait l’acquisition de deux maisons.
L’objectif étant de créer des logements abordables et sûrs pour les femmes victimes de violences domestiques et les enfants ayant perdu le lien avec leur famille. « Nous avons réalisé que le logement était un défi important pour les femmes qui tentent d’échapper à la violence familiale », explique Jamie Pfau.

Aujourd’hui, l’initiative compte deux unités de plus pour un total de quatre maisons. L’initiative, qui s’appelle Peace for All of Us, a donc également vu son mandat s’étendre à d’autres populations.
« Nous hébergeons actuellement plusieurs étudiants du Bangladesh, parce que les propriétaires ont encore trop tendance à prendre avantage des étudiants internationaux. Notre quatrième maison accueille en ce moment une famille qui a fui l’Afghanistan après le retrait des troupes et la montée au pouvoir des talibans. »

Ces logements sont meublés grâce aux dons de la communauté et les occupants ne signent pas de baux. Ils sont libres de rester aussi longtemps que nécessaire. À ce jour, l’initiative a permis d’accueillir six jeunes, quatre femmes survivantes de violence.

Les personnes dans le besoin peuvent contacter le couple Pfau directement à l’adresse suivante  : [email protected] ou bien sur leur page Facebook.

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