Avec certaines informations de Marie WIELGOCKI.
Pour les communautés du nord, il est un enjeu majeur.
Visible dès la sortie de l’aéroport, les infrastructures du port de Churchill trônent, comme des géants de fer, à l’embouchure de la baie d’Hudson. Un manteau blanc recouvre un peu les voies ferrées qui s’arrêtent dans la zone de débarquement. Sur les rives gelées, quelques bateaux font mine de s’être échoués sur d’épaisses couches de neige. Le port, comme la surface de la rivière, est à l’arrêt pour quelques semaines encore. Dans ce décor de cinéma, pour un nouveau venu, difficile de distinguer où s’arrête la rivière et où commence l’océan.
Mais Shane Hutchins, directeur du port et fier enfant de Churchill enfile sa casquette de guide. Avec les photos qu’il a sur son téléphone, il montre un port ensoleillé qui accueille un navire immense. Selon lui, pendant la saison active, le port voit passer environ trois vaisseaux cargo, un ou deux bateaux de croisière et deux navires transportant du zinc.
Si l’unique port maritime canadien en eau profonde de l’océan Arctique est à l’arrêt pendant l’hiver, le chemin de fer de la baie d’Hudson, qui permet de relier le port au réseau du Canadien National reste praticable.
Shane Hutchins indique que des cargaisons sont acheminées vers le port toutes les semaines. Ainsi l’on compte une équipe d’environ cinq personnes ici pendant la saison creuse. Un chiffre qui, selon toute vraisemblance, est amené à augmenter.
Il faut comprendre que la situation actuelle du port est particulière. À l’époque, les infrastructures étaient la propriété de la société américaine OmniTRAX, les activités du port avaient cessé en 2016. En mai 2017, des inondations avaient endommagé les rails et certains ponts reliant Gillam à Churchill. En 2018, l’Arctic Gateway Group, un partenariat qui regroupe 41 Premières Nations rachète les voies ferrées et le port. Depuis, « c’est comme si nous reprenions à zéro », indique Shane Hutchins.
Et le président-directeur général du groupe propriétaire, Chris Avery, confirme :
« Depuis que le chemin de fer a été emporté par les eaux, une grande partie de l’activité a disparu et nous sommes en train de la relancer. Par exemple, l’année dernière, en août 2024, nous avons transporté 10 000 tonnes de minéraux critiques vers des marchés européens.
« Nous avons également de nombreux navires qui viennent réapprovisionner le centre du Nunavut. L’année prochaine, nous prévoyons de doubler le volume de minéraux critiques transitant par le port, nous triplons la capacité de stockage des minéraux au port. Nous prévoyons de faire transiter des produits agricoles par le port au cours de la prochaine saison. »
Pour poursuivre les opérations à cette nouvelle échelle, de nouveaux postes seront créés.
« Nous allons avoir besoin d’embaucher plus de monde, cette année nous devrions embaucher entre 30 et 40 personnes », indique Shane Hutchins.
Alors qu’il conduit vers les docks, il pointe du doigt une grande structure flambant neuve. Un ajout récent pour accroître l’espace de stockage. Il confie qu’une structure similaire devrait être ajoutée le long de la rivière, « bientôt ».
Un enjeu politique?
Avant même le déclenchement des élections, le gouvernement fédéral avait annoncé son intention de financer le port à hauteur de 100 millions de $ sur 5 ans. En février de cette année, les gouvernements provincial et fédéral annonçaient un investissement de près de 80 millions $ pour poursuivre le développement du chemin de fer.
Alors que les élections du 28 avril pourraient voir un changement de gouvernement, Shane Hutchins fait valoir que « travailler avec le gouvernement libéral a été très positif. « Ils ont été de bons partenaires en matière d’investissement, tant au niveau fédéral que provincial. En tant que Churchillian et employé du port, j’espère que l’on pourra conserver le même niveau de collaboration avec le prochain gouvernement. »
Dans le contexte géopo-litique actuel — marqué, notamment, par les tarifs imposés par Donald Trump — le seul port maritime du Manitoba donnant sur l’Arctique offre un accès stratégique à de nouvelles routes commerciales. Dans une volonté de réduire la dépendance envers les États-Unis, il représente donc un atout de taille.
Ce n’est d’ailleurs pas nouveau. Le port de Churchill a longtemps été considéré « comme une sorte d’Eldorado ou un rêve pour de nombreux dirigeants manitobains depuis les années 1920, si bien qu’il a représenté la clé de l’avenir du Manitoba, le distinguant du reste de la région de l’Ouest », explique Christopher Adams, professeur associé d’études politiques à l’Université du Manitoba.
À condition toutefois d’en développer les infrastructures, et ça, Chris Avery, président-directeur général du groupe Arctic Gateway Group en est conscient.
« Mettre en œuvre l’infrastructure est nécessaire pour avoir accès aux vastes ressources que l’on a dans l’Ouest canadien. Cela ouvrirait l’accès aux marchés mondiaux, notamment l’Europe, l’Afrique, le Moyen-Orient et l’Amérique du Sud.
Pour le Canada avoir un deuxième port en option est logique. Le port de Vancouver a parfois dû faire face à des conflits avec ses travailleurs, des feux de forêt, des inondations aussi. Renforcer les infrastructures ici est une conversation que l’on avait avant même l’élection de Donald Trump. »
Il souligne que les gouvernements du Canada, au même titre que celui du Manitoba, ont toujours reconnu le Manitoba comme une province « maritime » et qu’ils ont su soutenir le développement du port en ce sens.
À la question de savoir si l’arrivée potentielle d’un nouveau gouvernement pourrait contrarier l’élan et le soutien reçu, Chris Avery n’a pas l’air inquiet.
« Le port offre des solutions au Canada. C’est une solution canadienne qui a du sens, quel que soit le parti. Le gouvernement libéral a annoncé son soutien et M. Poilievre (interrogé à propos de Churchill lors de sa visite à Winnipeg) a soutenu les investissements et l’aide apportée à Churchill. »
Le PDG admet tout de même que le soutien s’est amplifié au cours des derniers mois en raison du contexte tarifaire.
D’ailleurs, pour Mariette Mulaire, directrice générale de la World Trade Centers Association, c’est « maintenant ou jamais ».
« Cela fait des années que l’on parle d’améliorer l’accessibilité du port et ses infrastructures, mais ça représentait à chaque fois de très grands investissements », observe Mariette Mulaire.
Mais à la différence des autres années, il semble que l’actuel contexte géopolitique précipite l’avancement du projet Churchill. « Au-delà de faire briller le Manitoba, cette nouvelle porte d’entrée bénéficierait à tout le Canada », souligne-t-elle.
Quant à savoir si les promesses électorales liées au port auront un impact sur le résultat des urnes, Christopher Adams n’est pas convaincu.
« Compte tenu de la taille de la circonscription de Churchill-Keewatinook Aski, l’impact que les promesses liées au port pourraient avoir sur la politique nationale est incertain. Même si ces promesses influencent les électeurs de la circonscription, leur effet global sur les élections fédérales demeure variable. »
Pour ce qui a trait au chemin de fer, la réponse du professeur est un peu plus nuancée.
« Les dirigeants des Premières Nations influencent les tendances électorales au sein de leurs communautés, bien qu’ils n’aient pas de contrôle direct sur le vote des individus », affirme Christopher Adams.
Bien qu’il soit difficile d’affirmer précisément dans quelle mesure le port influence leur prise de décision, le spécialiste souligne que le rôle des investisseurs des Premières Nations sur la question du chemin de fer a certainement un impact important sur les élections.
Pour rappel, dans ces élections, la principale bataille électorale oppose la députée sortante Niki Ashton, du Nouveau Parti démocratique, et Rebecca Chartrand, du Parti libéral. C’est en tout cas ce que laissent envisager les prédictions. Les dernières projections du site 338 Canada annoncent une bataille serrée entre les deux candidates, avec une victoire du Parti libéral à 53 % contre 45 % pour le NPD.
« Il y a plus de compétition à Thompson. Plus on se dirige vers le nord, plus les prix sont élevés et c’est en partie dû au manque de compétition. Les gouvernements ne peuvent pas réguler les prix sur les produits d’épicerie, mais la présence de compétition le peut. » Mike Spence, maire de Churchill.
Un enjeu local certain
Pour Shane Hutchins, ça ne fait aucun doute, le développement du port bénéficiera à Churchill, mais plus largement à toutes les communautés du Nord. S’il reconnait que le statut de ville touristique de Churchill comporte des avantages certains, il fait valoir aussi que ça ne suffit pas.
« La plupart des entre-preneurs et saisonniers du secteur touristique ne vivent pas ici à l’année. Alors quand ils partent, l’argent part avec eux. À l’époque où le port était opérationnel, c’était le plus gros employeur pour les locaux. Ceux qui vivent ici toute l’année et dépensent leur argent ici. »
Du côté de Chris Avery, on rappelle que l’un des mandats du groupe est de créer des opportunités d’emploi pour les communautés autochtones et non autochtones du Nord. « À mesure que l’on grandit, les opportunités d’emploi seront plus importantes. »

Une évidence pour le maire de Churchill, Mike Spence, qui parle d’une véritable opportunité de réconciliation avec les communautés autochtones. « Nous avons la responsabilité de s’assurer que nous formions des gens, dans la communauté, pour qu’ils deviennent employés du chemin de fer ou du port. »
Il rappelle que les défis vis-à-vis de la sécurité alimentaire sont davantage prononcés à Churchill, qu’ils ne le sont à Thompson par exemple.
« Il y a plus de compétition à Thompson. Plus on se dirige vers le nord, plus les prix sont élevés et c’est en partie dû au manque de compétition. Les gouvernements ne peuvent pas réguler les prix sur les produits d’épicerie, mais la présence de compétition le peut. »
En ce sens le maire est optimiste quant à la revitalisation des infrastructures et de l’économie locale.
L’attractivité de la ville repose sur plusieurs facteurs : des vols plus fréquents — et donc moins chers —, un réseau ferroviaire bien entretenu, un meilleur approvisionnement, autant d’éléments qui pourraient, à terme, alléger le coût de la vie.
Pour cela, il faut s’assurer que le développement économique ne se fasse pas au détriment de l’environnement. À ce sujet, Chris Avery se veut rassurant.
« Nous travaillons en étroite collaboration avec l’université du Manitoba qui mène des recherches sur ce qui se passe dans l’environnement et l’océan. Nous devons nous développer en tant qu’entreprise, ce qui est bon pour la communauté, mais nous travaillerons ensemble pour le faire tout en respectant l’environnement. »
Cette couverture électorale a été rendue possible grâce au Fonds « Couvrir le Canada : Élections 2025 »