Infographie de Marie WIELGOCKI et Sonia ROUSSAULT.

À une une dizaine de jours du résultat des élections, les chefs des partis fédéraux avaient déjà fait de grandes promesses. Qu’il s’agisse des libéraux qui s’attaquent à la crise du logement par coup d’un demi-million de nouveaux logements par année, des conservateurs qui adoptent une position ferme sur l’immigration et les étudiants étrangers, ou des néo-démocrates et des verts qui s’opposent à la participation de Donald Trump au prochain sommet du G7, chaque parti a fait feu de tout bois depuis le déclenchement des élections qui a débuté le 23 mars dernier.

Certains sujets sont sur toutes les lèvres, dont le plus urgent cité par Mark Carney comme raison première de la dissolution du Parlement : les menaces exprimées par Donald Trump depuis son entrée au pouvoir. Menaces qui ont non seulement bouleversé notre économie et jeté les entreprises canadiennes dans la peur, mais qui redessinent également les alliances militaires entre le Canada et les États-Unis alors que des mentions d’annexion se font de plus en plus alarmantes pour la souveraineté canadienne.

« Cette élection est marquée par la peur », déclare Christopher Adams, professeur associé d’études politiques à l’Université du Manitoba. « La question du scrutin n’est pas l’augmentation des services de garde d’enfants ou la mise en place de soins de santé fixes, ni l’inflation ou l’accessibilité financière. La question du scrutin est la suivante : Comment pouvez-vous faire en sorte que j’aie moins peur? »

Mais d’autres problèmes majeurs ont été inscrits sur la liste des sujets de discussion communs. La crise du logement, l’augmentation du coût de la vie et les problèmes environnementaux urgents sont des sujets de discussion que les Canadiens sont impatients d’aborder.

Les enjeux des partis et les sondages

Bien que les partis aient travaillé dur pour présenter leurs plateformes, Christopher Adams, qui est également recteur du St. Paul’s College, une institution associée à l’Université du Manitoba, affirme que les thèmes présentés ne sont pas ceux qui ont tendance à affecter les résultats de sondage lorsqu’il s’agit de prédire la direction des élections.

« Je ne pense pas que les sondages réagissent aussi directement à des questions particulières. Lorsqu’un institut de sondage se rend sur le terrain, il recueille des données sur plusieurs jours, si bien qu’il est difficile de déterminer avec précision ce qui déclenche une hausse ou une baisse. Mais les électeurs ont une idée générale de leur position. »

Selon lui, les électeurs s’associent plutôt à une plateforme en général, tout en prêtant une attention particulière à certains enjeux importants. « Les sondages montrent que les questions liées à la souveraineté et à la sécurité économique trouvent un écho. Le leadership joue également un rôle important ; par exemple, le changement de leadership des libéraux a eu un impact significatif sur la dynamique, affectant à la fois les conservateurs et les néo-démocrates. »

Une montée libérale au Manitoba

Lorsqu’il s’agit de programmes électoraux, les électeurs ont tendance à considérer l’ensemble des mesures plutôt que des promesses électorales isolées. Si un parti annonce une nouvelle politique lors d’un évènement majeur, cela peut générer une couverture médiatique positive, mais c’est le récit global – abordabilité, stabilité économique et leadership – qui fait vraiment bouger les chiffres.

Au Manitoba, et surtout à Winnipeg, qui a tendance à être un baromètre pour les élections nationales, les sondages montrent un léger avantage pour les libéraux. La montée du rouge dans les sondages a été soudaine : selon les chiffres de Probe Research, alors que le soutien libéral était de 19 % en décembre, contre 52 % pour le Parti conservateur de Pierre Poilievre, la tendance s’est maintenant inversée, avec 44 % des Manitobains qui soutiennent Mark Carney et 42 % qui déclarent qu’ils voteraient conservateur.

« De tels chiffres, avec un gain de 30 points pour les libéraux, je n’ai jamais vu ça de toute ma carrière,  » déclare Christopher Adams.

Les libéraux regagnent du terrain

Selon lui, plusieurs raisons peuvent expliquer le regain de popularité des libéraux. Il pense que le départ de Justin Trudeau a contribué à redorer le blason du parti. Le premier ministre était profondément impopulaire à la fin de son mandat, et il a peut-être été la raison pour laquelle de nombreuses personnes se sont tournées vers d’autres partis.

Les libéraux de Mark Carney ont également changé de cap. Le slogan conservateur « Axe the Tax » (Abolissons la taxe), point majeur de la plateforme du parti au cours des dernières années, ne semble plus d’actualité. Lorsque Mark Carney a été officiellement assermenté, il a immédiatement annoncé l’annulation de la controversée taxe carbone, un décret qui est entré en vigueur le 1er avril dernier.

La guerre commerciale et les menaces verbales à l’encontre de la souveraineté canadienne ont également modifié la conscience nationale et réveillé le patriotisme des électeurs. « Cela a nui à M. Poilievre, qui a bâti sa campagne sur l’idée que le Canada est brisé – ce message ne résonne plus lorsque les gens se rassemblent autour de la fierté nationale. »

À qui peut profiter la montée de la fierté nationale?

Cette montée de la fierté canadienne pourrait également expliquer les prévisions des sondages pour d’autres partis comme le Bloc Québécois, dont la plateforme s’oppose généralement au fédéralisme. À une époque où les menaces contre la souveraineté semblent plus réelles, les électeurs québécois pour- raient se détourner de leurs convictions séparatistes.

Christopher Adams soutient que ces facteurs majeurs de l’amélioration de la popularité des libéraux ont été aidés par l’amabilité de Mark Carney. Si les Canadiens souhaitaient se départir de Justin Trudeau, il pense que ce n’est pas nécessairement parce qu’ils préféraient Pierre Poilievre comme alternative.

« Je n’ai jamais eu l’impression que les Canadiens s’étaient vraiment attachés à M. Poilievre. En revanche, M. Carney s’est présenté comme compétent et charismatique. Il a un bilan crédible, des vidéos amusantes avec Mike Myers, il a réussi une bonne campagne où il a fait un entraînement de hockey avec les Oilers d’Edmonton. Il se présente de la même manière que Trudeau le faisait lors de sa campagne de 2013. »

Par conséquent, les conservateurs sont en train de réorienter leur stratégie. Après un rassemblement réussi à Winnipeg le 29 mars dernier, les conservateurs ont encore quelques jours de campagne et de nombreuses occasions d’obtenir des sièges supplémentaires, ou même de regagner la popularité de Poilievre.

Notre couverture électorale a été rendue possible grâce au Fonds « Couvrir le Canada : Élections 2025 »