Frustrée du manque visible de discussions dans les débats politiques actuels sur le secteur des entreprises noires et de la communauté noire, la fondatrice et présidente de la Chambre de Commerce Noire du Manitoba (CCNM), Zita Somakoko, tire la sonnette d’alarme.
Si la question des tarifs douaniers et des relations internationales avec les États-Unis prend beaucoup de place dans la campagne électorale ces temps-ci, il existe pourtant d’autres enjeux cruciaux pour certaines communautés minoritaires.
La Liberté s’est entretenue avec Zita Somakoko, fondatrice et présidente de la CCNM. Une chose est sûre, les attentes de la communauté et des entrepreneurs noirs du Manitoba sont considérables vis-à-vis du prochain scrutin, le 28 avril prochain.
Des attentes
D’entrée de jeu, la présidente a souligné l’importance de mettre en lumière leurs revendications et espère que la communauté noire ne sera pas écartée des débats politiques. « C’est un moment très critique et inquiétant. La prochaine élection fédérale représente une occasion décisive pour la CCNM et l’ensemble de la communauté d’affaires noire, pour assurer que nos voix, nos besoins et nos aspirations occupent une place centrale dans les débats nationaux. »
Un des enjeux cruciaux remontés porte sur les programmes d’immigration qui touchent la francophonie en milieu minoritaire. Selon elle, les immigrants francophones sont confrontés à leur arrivée à un manque criant d’accompagnement et de plateformes permettant une bonne intégration tant au niveau personnel que professionnel. Les conséquences de ce manque de soutien sont jugées « déplorables » par la présidente.
Difficultés à trouver un logement et un emploi à l’arrivée ou encore la non-reconnaissance des diplômes sont quelques exemples constituant, selon elle, des barrières pour les nouveaux arrivants francophones, dont ceux de la communauté noire. « Ces familles viennent ici avec des rêves et se retrouvent pratiquement détruites. Nous avons des médecins, des ingénieurs, des architectes francophones qui sont des professionnels aguerris dans leur domaine. Ils ont tout abandonné pour venir ici et se retrouvent comme simple main d’œuvre. »
Ainsi, la CCNM souhaite que ce programme d’immigration soit révisé afin que des avancées notables soient faites sur l’intégration des nouveaux arrivants.
Pour des marchés publics inclusifs et un accès équitable au capital
Et la présidente de l’organisme ne s’arrête pas là dans son plaidoyer. Elle ajoute : « Nous suivrons de près les plateformes qui s’engagent en faveur de la justice économique, des marchés publics inclusifs et d’un accès équitable au capital. Ce sont nos points cruciaux. »
Elle mentionne avec regret que les membres de la communauté soient confrontés aux obstacles systémiques liés au financement, à la faible représentation dans les secteurs en forte croissance et à l’absence de services adaptés sur le plan culturel. Elle fait référence ici au manque d’accès au capital et au financement qui « constituent une barrière énorme pour les entreprises noires au Canada ». Un point que la présidente avait déjà mentionné dans un article publié dans nos pages en février.
Toutes ces remontées mettent en lumière les freins à la pleine participation des entreprises noires dans l’économie canadienne. « Voilà pourquoi nous attendons des candidats et des partis qu’ils présentent des stratégies claires pour investir dans l’entrepreneuriat noir y compris des fonds dédiés. »
La présidente fait ici un lien avec le contexte des tarifs douaniers imposés par Donald Trump depuis le début du mois de mars. Elle regrette que, dans un moment où le Canada souhaite diversifier ses échanges commerciaux internationaux comme réponse aux tarifs américains, les politiques d’échanges ne s’intéressent pas aux marchés africains et des Caraïbes.
Actuellement, aucun leader n’a publiquement abordé ce sujet. À propos de la politique tarifaire américaine, la CCNM propose d’ailleurs une boîte à outil en ligne pour les entrepreneurs inquiets mais aussi pour « prendre des nouvelles de nos membres. Concrètement, si une entreprise a trouvé une solution qui fonctionne pour elle, nous demandons à ce qu’elle le partage pour les autres. »
Tout un tas de ressources sont accessibles sur le site de l’organisme notamment pour s’informer sur les droits de douane et la diversification des échanges.
Au sujet des barrières systémiques au financement pour les entrepreneurs noirs, Zita Somakoko a précisé que des pourparlers ont déjà été entamés avec certaines institutions, comme avec la Banque royale du Canada (RBC). Une rencontre, tenue à l’automne 2024, avec les dirigeants de la RBC à Winnipeg devrait déboucher sur un rapport et la mise en place d’un programme pilote pour faciliter l’octroi de crédit aux entreprises noires.
Elle rappelle que pour obtenir ces fameux prêts, les entrepreneurs doivent justifier d’un plan d’affaires solide, d’un bon historique de crédit ou encore savoir maintenir un livre de comptes. « Avoir un comptable coûte de l’argent. Quand quelqu’un lance une entreprise, il n’a pas forcément les ressources nécessaires pour payer un tel service. C’est normal », s’exclame la présidente.
Soulignons également que le manque de données désagrégées selon les origines ne permet pas de rendre visible l’impact des entreprises noires qui font pourtant partie du paysage économique de la province et du pays. Un point encore une fois soulevé par Zita Somakoko. « Nous souhaitons voir des engagements fermes en matière de collecte de données désagrégées selon les origines dans les statistiques économiques. »
Si la CCNM compte aujourd’hui une centaine de membres, la fondatrice estime qu’environ 1 000 entreprises noires sont actuellement en activité à l’échelle du Manitoba. D’après les derniers chiffres officiels de Statistiques Canada, 3 265 entreprises appartenaient à des personnes noires au Manitoba, soit 2,3 % sur le total national.
Une absence remarquée dans les débats
De plus, l’organisme souhaite voir des garanties concrètes qui dépassent les simples discussions. À ce jour, Zita Somakoko explique avoir lancé une invitation aux leaders politiques pour une rencontre avec la communauté noire au Manitoba. « Nous allons voir qui (de ces leaders) va répondre favorablement à notre requête. »
L’invitation a été envoyée au bureau du premier ministre Mark Carney, mais aussi aux bureaux des Partis libéral et conservateur ainsi qu’au Nouveau Parti démocratique et au Bloc québécois.
De cette initiative, la présidente espère ainsi faire entrer dans les débats la communauté noire qui, pour le moment, n’a pas été mentionnée sur la scène politique. « Jusque-là nous n’avons rien entendu. Aucun de ces leaders n’a parlé de nous, s’alarme-t-elle. Nous espérons cette fois-ci que nous ne serons pas absents des débats nationaux. »
La balle est désormais dans le camp des leaders politiques qui, au moment de la publication de cet article, n’avaient pas encore tous répondu. Pour l’heure, seul le Bloc québécois s’est prononcé en déclinant l’invitation en raison de l’agenda chargé de leur chef, Yves-François Blanchet.
La CCNM a également réaffirmé sa volonté de jouer un rôle de rassembleur et de défenseur de la communauté noire, tout en veillant à ce qu’elle ne soit pas uniquement mobilisée en période électorale. « Il faut qu’elle soit incluse dans les processus de décision tout au long de l’année », soutient fermement la présidente.
Cette couverture électorale a été rendue possible grâce au Fonds « Couvrir le Canada : Élections 2025 »