Il aura fallu attendre 26 jours à partir du déclenchement des élections, pour découvrir la première plateforme chiffrée de cette campagne. C’est le Bloc Québécois qui a ouvert le bal, en publiant ses ambitions budgétaires le 18 avril. Suivi dès le lendemain du Parti libéral et du Nouveau Parti Démocratique. Quant aux conservateurs, ils ont dévoilé leur cadre financier le 22 avril, soit 6 jours avant les élections et le lendemain de la fin des votes par anticipation.
Alors que la course électorale se résume essentiellement au duel conservateurs-libéraux, les mesures chiffrées publiées par ces derniers viennent alimenter les débats dans cette dernière ligne droite. « Dans ce face-à-face, les libéraux sont optimistes sur certains aspects, mais restent malgré tout plus réalistes que les Conservateurs », observe Raymond Lafond, comptable agréé et observateur politique.
Libéraux : investir pour la croissance
Pour les libéraux, le plan est le suivant : dépenser moins tout en investissant plus. D’après son programme fiscal, fondé sur les prévisions du Directeur parlementaire du budget, le parti de Mark Carney a l’ambition d’investir 130 milliards $ sur quatre ans. Un investissement assez inédit dans un contexte socio-économique très fragile. En comparaison, en 2021, pendant la pandémie de la COVID-19, le gouvernement libéral de Justin Trudeau prévoyait 78 milliards $ de dépenses sur cinq ans.
Selon la plateforme libérale, les économies, qui découlent d’après eux de « l’amélioration de la productivité gouvernementale », seraient de 6 milliards $ à partir de 2026, avant d’atteindre 9 milliards $ en 2027, puis 13 milliards en 2028.
Cette année, en plus de s’atteler à faire diminuer la dette, les partis ne peuvent ignorer la guerre tarifaire. De leur côté, les libéraux proposent des mesures ciblées pour répondre aux attaques douanières états-uniennes. Soutenir les travailleurs touchés, fournir aux entreprises une sécurité financière et renforcer la souveraineté canadienne sont les trois leitmotivs des libéraux depuis le début de cette campagne.
Pour stimuler la croissance, le parti annonce compter sur 500 milliards $ en nouveaux investissements privés jusqu’en 2029. L’objectif est de financer les secteurs stratégiques comme le logement, la défense, les infrastructures, mais aussi l’énergie et les minéraux critiques.
Conservateurs : baisse d’impôts et discipline budgétaire
Pour le parti de Pierre Poilievre, la priorité est donnée à la réduction de la pression fiscale et au redressement des finances publiques. L’objectif principal : réduire le déficit. Dans leur cadre financier, les conservateurs souhaitent atteindre 31,3 milliards $ de déficit pour cette année. Un chiffre qui devrait légèrement augmenter pour 2026 avec 31,4 milliards $, avant de descendre à 23,6 milliards $ en 2027, puis atteindre 14,1 milliards $ en 2028.
Pour atteindre ce rééquilibrage financier et parvenir à faire autant d’économies, le chef conservateur prévoit de grandes coupes dans les dépenses publiques. Par exemple, il prévoit de récupérer 655 millions $ en supprimant le Fonds pour une « économie à faibles émissions de carbone » et les Prêts canadiens « pour une maison plus verte ». Il prévoit également d’économiser 235 millions $ en abrogeant la loi C-69. Entrée en vigueur en 2019, cette loi fédérale modifie la façon dont le Canada évalue l’impact environnemental de projets énergétiques et de transports.
La fonction publique est également visée par ces coupes, puisque le parti souhaite remplacer deux employés sortants sur trois. Même sort pour les consultants, qui voient leurs budgets diminuer drastiquement dans le plan financier conservateur.
Pour Raymond Lafond, cette mesure n’est pas viable. « Supprimer les consultants n’est pas réaliste, le gouvernement n’a pas les moyens humains nécessaires pour ne pas faire appel à des experts extérieurs ».
En plus de ces coupes, les conservateurs souhaitent générer environ 1 milliard $ en construisant des logements supplémentaires. « La stratégie des conservateurs est la suivante : chaque fois que l’on va construire un nouveau logement, on va augmenter les gains, mais c’est une logique comptable jamais utilisée auparavant », observe le spécialiste. D’après lui, le Parti conservateur parle certes de nouveaux logements, mais pas d’habitations abordables. « C’est de la poudre aux yeux et irréaliste de penser que de jeunes canadiens peuvent s’offrir une maison à 1 million $. Les conservateurs ne spécifient pas ce que représentent exactement ces nouveaux logements ».
Par ailleurs, pour réduire les coûts de ces logements, Pierre Poilievre avait expliqué vouloir convaincre les municipalités de réduire leurs frais. « Ce n’est pas réaliste non plus, les municipalités sont déjà l’enfant pauvre des entités publiques, et sont responsables dans l’octroi des permis de construire et réviser les normes, et ça a un coût », assure-t-il.
Par ailleurs, tout comme les libéraux, ces derniers affichent 20 milliards $ de revenus liés aux réponses tarifaires. « À la différence des libéraux qui comptent utiliser cette somme pour aider les entreprises touchées, les conservateurs veulent s’en servir pour baisser l’impôt », tient-il à souligner.
NPD et Bloc Québécois : équité fiscale et priorités sociales
Le Bloc Québécois et le Nouveau Parti démocratique proposent quant à eux des mesures de protection sociale face aux fluctuations économiques actuelles et à ce que représentent leurs conséquences pour la population.
Le NPD fait de la santé sa priorité absolue. Chiffré à 4 milliards $ la première année, le parti veut créer un régime universel d’assurance médicaments. En tout, les dépenses en santé prévues par le parti de Jagmeet Singh sont affichées à plus de 46 milliards $ de dépenses sur quatre ans. Pour Raymond Lafond, il faut rappeler que les soins relèvent de la responsabilité des Provinces. « Augmenter les dépenses en soins, c’est avant tout relever les transferts provinciaux car ça relève de leur domaine, donc il faudra particulièrement prêter attention à ça. »
Si les néo-démocrates parviennent à former un gouvernement, ils s’engagent aussi à taxer les plus grandes fortunes. Pour ce faire, ils envisagent un impôt progressif sur la fortune allant de 1 % à 3 % pour les fortunes de plus de 10 millions $. En imposant cette mesure, le parti espère économiser jusqu’à 22 milliards $ dès l’année prochaine. Par ailleurs, le parti a présenté deux scénarios en fonction des trajectoires économiques du pays. Le premier, le plus optimiste, prévoit une baisse soutenue du déficit, une diminution de la dette, passant de 41,9 % du PIB pour cette année à 40,4 % en 2028, mais aussi une augmentation de la croissance de 1,6 % à 1,9 % en quatre ans.
Le deuxième en revanche est bien moins optimiste. Ce scénario prévoit pendant le mandat une hausse du déficit avant sa baisse. Idem pour la dette, qui devrait dans ce second scénario augmenter puis stagner avant de décroître à la fin du mandat.
Pour les Bloquistes, qui proposent un plan de dépenses supplémentaires de 132 milliards $ sur cinq ans, l’objectif est également de protéger les portefeuilles des Canadiens. Financé en partie par 98,2 milliards $ de revenus et d’économies sur cinq ans, le parti compte augmenter le budget des transferts en santé, jusqu’à 11,6 milliards $ sur cinq ans. Une hausse de la pension de la sécurité vieillesse est également remarquée, avec un budget de 14 milliards $ en nouvelles dépenses sur la totalité du mandat.
Enfin, les Bloquistes souhaitent construire rapidement des logements, à hauteur de 1,4 milliard par an. Ils projettent aussi d’allouer 3 milliards $ par an à des fonds pour le développement des transports en commun.
Cette couverture électorale a été rendue possible grâce au Fonds « Couvrir le Canada : Élections 2025 »