Piliers essentiels de la société et de l’identité canadiennes, leur rôle dépasse de loin le simple divertissement.

Pour Eric Plamondon, directeur exécutif d’Artspace Inc. et lui-même artiste pluridisciplinaire, les arts et la culture ne reçoivent pas le soutien et l’attention qu’ils devraient avoir. « Il y a définitivement beaucoup de terrain pour l’amélioration. Je suis toujours surpris de ce qu’on arrive à faire avec les ressources qu’on a.

« Pourtant, c’est pour moi tellement évident, les atouts et l’importance de l’art et de la culture dans cette période postpandémique! Pendant longtemps, on a fermé tous les mécanismes de rassemblement.

« Aujourd’hui, l’art et la culture sont ce qui nous invite à nous rassembler de nouveau, à nous côtoyer, à nous provoquer dans toutes les émotions que notre humanité peut avoir, à nous questionner sur le bien et le mal, à démystifier nos idées fausses, etc. C’est vrai à Winnipeg comme partout au Canada, l’art est un moteur pour rebâtir ces relations de confiance. De plus en plus, on a soif de retisser des liens. »

Directeur général de la Fédération culturelle de la francophonie manitobaine (FCFM), Edouard Lamontagne se réjouit lui aussi que « les gens, généralement parlant, réapprennent à sortir et à se rencontrer ».

Il s’estime chanceux, « notre financement à la FCFM n’a pas vu de gros changement, ce qui nous permet d’offrir une programmation culturelle stable pour nos communautés. On est en mesure de planifier à l’avance. Par contre, nos ententes de contribution étaient sur cinq ans avant, maintenant c’est réduit à trois ans. Ça rend les choses plus difficiles pour bâtir sur le long terme, créer des rendez-vous durables ».

Eric Plamondon a pour sa part une lecture plus négative de la situation financière. « Pendant quatre décennies, les fonds pour les arts et la culture ont été gelés, donc on est dans une situation excessivement déficitaire.

Le Conseil des Arts du Canada et autres agences sont incapables de répondre à la demande.

« Si je soumets un projet pour du financement, que ce soit en tant qu’artiste ou qu’organisme, mes chances de réussite sont d’environ 30 %, et ça n’a rien à voir avec le mérite de mon projet. Il n’y a pas assez de fonds pour toutes les demandes. »

Solution identitaire

Plus encore qu’un remède postpandémique, les arts et la culture sont aussi une solution face aux attaques du président états-unien Donald Trump sur l’identité canadienne.

« Tout le Canada est en train de dire Non, nous ne sommes pas le 51e État, voici comment et pourquoi, et souvent, cette réponse-là vient de l’art et des artistes. Ou encore de l’appui aux médias indépendants, mécanismes cruciaux de notre démocratie et de notre indépendance canadienne, observe Eric Plamondon.

« Mais cet appui est menacé. Les conservateurs ont été clairs qu’ils ne voulaient aucun financement public pour des médias comme Radio-Canada. On est à un point pivot où un investissement significatif dans les arts et la culture serait nécessaire, voire critique, mais les partis politiques ne semblent pas vraiment s’en rendre compte. »

Il nuance toutefois son propos, en rappelant que le Parti libéral de Mark Carney a fait une annonce sur la culture, à Montréal, le 4 avril. Il a promis d’augmenter le financement de CBC/Radio-Canada. « Le simple fait que ce soit là, quelque part dans leurs valeurs, c’est positif, et ça les distingue du Parti conservateur de Pierre Poilievre. Mais ça reste qu’on ne l’entend pas assez souvent dans les discours. »

Le directeur exécutif d’Artspace estime que l’art et la culture sont un bien sociétal, mais aussi un enjeu économique et identitaire. Investir dedans rend la société plus forte et plus distincte d’une autre. « Le simple fait qu’on est un pays bilingue et multiculturel, ça change tout, et c’est par les arts et la culture qu’on peut pleinement l’exprimer. Il faut le dire. C’est crucial. »

À l’échelle manitobaine aussi, « plus on a de chances de vivre et célébrer notre culture et nos arts, plus nos communautés sont fortes et en cohésion, affirme Edouard Lamontagne. C’est essentiel à la vitalité de la francophonie manitobaine.

« Je souhaite vraiment que le gouvernement fédéral reconnaisse ce rôle important des arts et de la culture, mais je ne vois pas assez d’emphase sur ce sujet dans les plateformes des différents partis. On prend trop les arts et la culture pour acquis, alors que ça a un impact économique et identitaire. Il ne faut pas les oublier. »

Eric Plamondon ajoute que c’est un outil essentiel de réparation des torts faits à plusieurs communautés, notamment les peuples autochtones, ou encore les communautés 2SLGBTQ+ et BIPOC. « C’est par les arts que ces communautés auront une voix et pourront mettre en évidence leur version de l’Histoire, leur réalité. Une version qu’on a atténuée, reniée, voire même agressivement assimilée. »

Quelles attentes?

Concrètement, Eric Plamondon espère des investissements dans les arts et la culture francophones pour valoriser l’unicité canadienne face à nos voisins du Sud, mais aussi dans les espaces culturels.

« Beaucoup de nos espaces datent d’il y a 50 ans. Il y avait eu une grande vague de construction pour le centenaire du Canada, incluant la Place des Arts de Montréal et la Salle du Centenaire à Winnipeg.

Maintenant, il faut remettre ces espaces à jour en termes de standards et d’accessibilité.

« Plus que jamais, il faut également investir dans nos agences comme le Conseil des arts du Canada au lieu de lui couper son financement, si on est sérieux sur l’indépendance du Canada à l’avenir et sur notre volonté de réparer les dommages faits envers certaines communautés. »

À l’heure actuelle, le manque de financement adéquat rend les projets artistiques difficiles à maintenir.

Eric Plamondon donne l’exemple du Ballet royal de Winnipeg (RWB) qui, prépandémie, faisait régulièrement des tournées à travers le territoire de l’Île de la Tortue, et même en Amérique du Nord et en Europe. « Je viens de faire un projet avec eux à Ottawa, au Centre national des arts, à déficit pour le RWB. 

« Nos institutions artistiques et culturelles voudraient s’engager dans des projets de société, mais elles sont à peine capables de livrer une programmation de base. On n’a ni l’argent, ni les espaces culturels adéquats pour le faire. »

Edouard Lamontagne espère aussi pouvoir compter sur du financement sur une plus longue durée, mais il reste optimiste. « On a de la chance au niveau provincial, notre gouvernement met l’emphase sur la francophonie manitobaine. Donc quand le Fédéral voit cela, ça peut avoir un effet domino sur ses décisions en matière d’arts et de culture, et sa reconnaissance et valorisation de leur importance.

« Les arts et la culture ne sont pas un luxe ou un divertissement, ils sont réellement essentiels à nos communautés. » Encore faut-il s’assurer de les soutenir partout, pas juste dans les grands centres, termine-t-il.

Cette couverture électorale a été rendue possible grâce au Fonds « Couvrir le Canada : Élections 2025 »