Par Laurent GIMENEZ.
Une chose est sûre : ceux qui restent dans nos mémoires sont généralement associés à une victoire électorale, depuis le « Maîtres chez nous » du Parti libéral du Québec en 1962 jusqu’au « Make America Great Again » de Donald Trump, en passant par « It’s the economy, stupid » martelé par les partisans de Bill Clinton en 1992.
Au Canada, créer un slogan politique efficace est d’autant plus exigeant que celui-ci doit souvent fonctionner dans les deux langues officielles. Le parallélisme requis n’est pas toujours facile à atteindre étant donné les structures de phrase et les références culturelles très différentes en français et en anglais. Face à ce défi linguistique – qui n’est pourtant pas grand-chose comparé à celui de l’Afrique du Sud qui jongle avec 11 langues officielles! –, les partis politiques canadiens optent souvent pour des slogans basiques et plats, donc facilement transposables d’une langue à l’autre.
Le Parti libéral du Canada en donne un bon exemple en ce moment avec son slogan : « Canada Strong/Un Canada fort ». Rien à redire sur la forme et sur le fond, mais on devine que cette formule ne restera pas dans la mémoire collective canadienne. Le Parti conservateur a fait preuve d’un peu plus d’audace en choisissant le slogan : « Canada First – For a Change/Le Canada d’abord – Pour faire changement ».
Ce slogan a le mérite d’exprimer le même double sens dans les deux langues : redonner la priorité au Canada et faire des changements. De plus, le choix de l’expression « pour faire changement » est assez malin. Il s’agit d’un canadianisme familier et populaire (en français transnational, on dirait plutôt « pour changer » ou « pour que ça change »), donc bien adapté à une campagne électorale au Canada. Des puristes pourraient soupçonner cette expression d’être un calque de l’anglais « to make a change », mais rien n’est moins sûr. Selon le linguiste Lionel Meney, il s’agirait plutôt d’un héritage de l’ancien français « faire change » (1).
Le souci de l’équilibre politique nous incite à mentionner également le slogan du Nouveau Parti démocratique (« In It For You/Du cœur au ventre ») et celui du Parti vert (« Change, Vote For It/Votez pour du changement »). Pour les nostalgiques, un article publié dans Le Devoir en 2022 (2) rappelle quelques belles trouvailles québécoises en matière de slogans politiques. Par exemple, « On se donne Legault » (le go!), « Changer d’ère » et « Un parti propre au Québec ». Ajoutons le « Printemps érable » des étudiants québécois en grève en 2012, jeu de mots basé sur le « Printemps arabe » désignant des mouvements de révolte au Moyen-Orient.
Quant aux manifestants français opposés à un projet d’augmentation à 64 ans de l’âge de départ à la retraite, ils ont produit en 2023 le magnifique « Tu nous mets 64, on te mai 68 », une référence aux grandes manifestations de mai 1968. Essayez donc de traduire ça en anglais!
(1) Dictionnaire québécois-français, éditions Guérin, 2003
(2) « Le palmarès des slogans », Jean-François Lisée, Le Devoir, 27 août 2022 (https://shorturl.at/M04oj)