Alors que le Bloc Québécois quittait la Chambre des communes en mars dernier avec 33 sièges, le parti pourrait retourner à Ottawa avec seulement 23 députés. Alors que dans le reste du Canada, les élections se sont jouées entre les libéraux et les conservateurs, les circonscriptions à surveiller au Québec ont toutes connu une course serrée entre les bloquistes et leurs concurrents.
Cette tendance a été observée à travers la Belle Province. Dans Thérèse-De Blainville, Trois-Rivières, Rivière-des-Milles-Îles, Lasalle-Émard-Verdun, Beauport-Limoilou, La Prairie-Atateken, Mont-Saint-Bruno-L’Acadie, Abitibi-Baie-James-Nunavik-Eeyou et Les Pays-d’en-Haut les candidats du Bloc québécois ont été renversés par les libéraux.
Si la tendance se maintient, la circonscription de Longueuil-Saint-Hubert pourrait également virer au rouge. Dans la circonscription de Montmorency-Charlevoix, ce sont les conservateurs qui pourraient reprendre le siège bloquiste.
La province a également connu des victoires particulièrement remarquables. À Châteauguay-Les Jardins-de-Napierville, la libérale Nathalie Provost, une survivante de la tuerie de l’École polytechnique, a remporté le siège alors qu’elle se présentait contre le bloquiste Patrick O’Hara, qui a perdu à la candidate libérale aux élections de 2021 par seulement 12 voix.
En Abitibi-Baie-James-Nunavik-Eeyou, Mandy Gull-Masty est la candidate libérale qui a pris la relève du Bloc. Elle a été nommée première femme Grand Chef du Gouvernement de la Nation Crie au Québec en 2021, poste dont elle a démissionné au début de sa campagne début avril pour se lancer dans la politique fédérale.
Dans Lasalle-Émard-Verdun, les libéraux reprennent le siège qu’ils avaient perdu avec la démission de l’ancien ministre de la Justice, le député libéral David Lametti. Il a quitté la fonction publique en 2024, et lors d’une élection partielle tenue le même jour que celle d’Elmwood-Transcona, le bloquiste Louis-Philippe Sauvé a été élu au Parlement, un siège qu’il n’a occupé que pendant huit mois.
La circonscription de Papineau est restée rouge malgré l’absence de Justin Trudeau sur le bulletin de vote pour la première fois en 17 ans. En outre, Rosemont-La Petite-Patrie reste le seul siège du NPD dans la province.
Pourquoi de si grandes pertes bloquistes?
Selon André Lamoureux, professeur chargé de cours de politique canadienne et québécoise à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), quelques facteurs ont contribué à la baisse de popularité du Bloc Québécois lors de cette élection. Le premier, selon lui, est que le parti « a tardé à assimiler l’enjeu de l’urne », ou la dure attaque de l’administration Trump contre la souveraineté et l’économie canadiennes.

« Le Bloc continuait, au début de la campagne électorale, son train-train avec ses thèmes divers, comme l’environnement, la protection de la gestion de l’offre, aider les jeunes à avoir un certain capital pour pouvoir s’acheter une maison, la laïcité, » dit-il.
« Mais il ne se présentait pas comme un des principaux partis qui allait se battre contre Trump, par exemple pour protéger l’aluminium, les travailleurs, les industries, l’acier, l’électricité. »
En outre, le chef du parti, Yves-François Blanchet, ayant été ministre du Développement durable, de l’Environnement, de la Faune et des Parcs, a conservé son penchant pour les politiques de lutte contre le changement climatique. Il est ainsi resté un fervent partisan pour la taxe carbone, la défendant malgré un mécontentement croissant au Québec concernant le coût de la vie.
Bien que Mark Carney ait aboli la tarification carbone dans l’ensemble du pays, le Québec demeure la seule province à avoir cette taxe en raison de son système provincial unique, qui coûte à ses citoyens environ 10 cents le litre. Pour André Lamoureux, cet aspect de la campagne du Bloc Québécois aurait pu nuire à sa popularité.
De plus, selon André Lamoureux, l’appui de M. Blanchet à Justin Trudeau lors des votes de non-confiance à la Chambre des communes a peut-être été le faux pas qui a fait perdre au parti son élan initial. En effet, dans les derniers mois de 2024, alors que Justin Trudeau était au plus bas dans les sondages, le Bloc Québécois était le parti avec le plus haut pourcentage d’intentions de vote au Québec. Certains sondages lui donnaient 35 % des voix, ce qui aurait potentiellement pu lui donner la chance de devenir le parti d’opposition officiel, s’il avait saisi l’occasion de lancer des élections à ce moment-là.
Un risque pour les communautés francophones minoritaires?
Le politologue déplore la perte de sièges spécifiquement au profit du Parti libéral, tout en exprimant son scepticisme quant à la volonté de Mark Carney de défendre les intérêts et l’autonomie du Québec. Il cite par exemple le programme Maisons Canada du Parti libéral : « C’est un projet pancanadien dans un domaine de compétences provinciales. Les travaux de nature locale, de même que la propriété de voies civiles, c’est une compétence exclusive du Québec et des provinces. »
Il reconnaît aussi que la perte de sièges pour le Bloc Québécois pourrait aussi être une perte pour les communautés francophones minoritaires.
« À chaque bataille, le Bloc Québécois salue les gains obtenus par les francophones à travers le Canada. C’est un allié de toujours. Le Bloc aura maintenant moins de sièges pour faire changer les lois en faveur des francophones hors Québec. »