Éditorial par Jean-Pierre Dubé
LA LIBERTÉ DU 1er AU 7 MAI 2013
Il est raconté que lorsque saint Pierre donnait la tournée du paradis, il imposait le silence devant la porte derrière laquelle se trouvaient les Canadiens français. Et il disait en chuchotant : ils pensent être les seuls ici…
C’est que, après avoir créé Adam et Ève ainsi que le français comme langue céleste, Dieu les chassa pour leur insatiable appétit de tout savoir et installa leurs descendants au Canada en guise de punition. Comme le soleil brille sur les bonnes comme sur les méchantes langues, il créa aussi l’anglais après l’échec de Babel pour que tout le monde en parle.
Les choses ont changé avec le temps et la formation de quelque 200 nations sur la planète où se parlent 6 000 langues. Il arrive même que certaines se croisent et se métissent. Ô sainte horreur!
La mère d’Elisa est une Arménienne native d’Égypte qui parle trois langues ; son père est un Sud-Africain d’origine juive tout aussi polyglotte. Diplômée d’une école française, elle étudie pour devenir enseignante. Quand Elisa parle sa langue maternelle, on lui répond en anglais, en raison de son accent. Elle croyait appartenir à une communauté mais elle n’en est plus certaine.
Sonnie vit avec sa mère d’origine italo-québécoise. Son père est un anglophone d’origine allemande. On parle français et on mange italien à la maison. Les soirs de semaine, Sonnie prend des cours de ballroom compétitif avec un danseur russe. Il termine ses études par correspondance avec un lycée à Paris. Ne lui demandez pas de choisir parmi ses identités.
Ces deux personnages se trouvent dans la série documentaire Identité 2.0 des Productions Rivard, diffusée sur la chaîne TFO et développée grâce à l’appui de la Fédération canadienne des enseignantes et des enseignants. Un 4e de 13 épisodes sur l’identité des francophones en milieu minoritaire sera présenté ce vendredi 3 mai et pourra être visionné sur le Web.
Entre-temps au Manitoba français, un concert de Noël multiculturel dans une école élémentaire est ovationné à tout rompre. L’année suivante, on se prépare à transformer la production en guignolée dans les rues du village. Mais une maman sonne l’alarme en clamant que ce n’est pas une activité appropriée pour une école française. Le concert de porte en porte est annulé au grand désespoir des jeunes. C’était il y a 20 ans.
Un président d’organisme provincial en éducation s’oppose à l’exogamie. Il est contre les unions interculturelles même si elles caractérisent la majorité des familles. Il refuse de se pointer à toute activité bilingue. C’était il y a dix ans.
Un papa demande à la Division scolaire franco-manitobaine d’établir une politique pour interdire l’anglais dans les cours de musique. C’était la semaine dernière. Le directeur général lui explique que la programmation relève du ministère et qu’il arrive que certaines musiques soient dominées par l’anglais, comme le jazz. C’était la bonne réponse.
Que trouve-t-on aussi, parmi les quelque 400 genres musicaux wiki-répertoriés? Jazz latin, gore grind, tango argentin, fado portugais, blues touareg, country québécois, voix bulgares, french touch, nu italo disco, rumba congolaise, negro spiritual, zydeco louisianais, anarcho-punk, javanaise, klezmer, viking métal, valse tyrolienne, raï algérien et mashup.
Il se trouve que nos enfants veulent tout savoir, que nos artistes chantent dans plusieurs langues et jouent dans une multitude de genres. Bye Babel! Âllo Pentecôte! Chacun parle une langue différente et tout le monde se comprend musicalement. Bref, saint Pierre ne trouve rien à rouspéter : la porte est ouverte.
The piano keys are black and white
But they sound like a million colors in your mind
apostropheSpider’s We – Katie Melua