Éditorial par Jean-Pierre Dubé
LA LIBERTÉ du 15 au 21 MAI 2013
C’est difficile d’arrêter un parent. Quand il se bat pour son enfant, rien n’est plus légitime : pas d’agenda politique ou de motif caché. L’expérience est universelle : mettez des parents en colère et, s’ils se mobilisent, plus rien ne les arrête.
Ils étaient 300 réunis dans un gymnase, le 1er avril 1974. Une semaine avant, la Division scolaire de Saint-Boniface (DSSB) avait annoncé la fermeture de l’école élémentaire Taché. Ces parents demandaient à la Société franco-manitobaine (SFM) de les appuyer pour renverser la décision.
Lorsqu’on a demandé au porte-parole du Comité de parents de préciser qui il représentait, ce dernier s’est tourné vers la foule. Selon le reportage de La Liberté, la réponse sans équivoque a été un tonnerre d’applaudissements.
Fondée en 1958, Taché avait été transformée en projet-pilote d’école française, suivant l’adoption en 1971 d’une nouvelle loi permettant l’enseignement en français de toutes les matières. La législation ne prévoyait pas la création de classes ni d’écoles : le fardeau de les obtenir reposait sur le citoyen. Après trois ans et une élection, la DSSB décidait d’intégrer les élèves de Taché à Provencher, l’école bilingue du quartier.
Il faut comprendre que l’enseignement bilingue était permis au Manitoba depuis 1967. Bien des Franco-Manitobains étaient satisfaits de cet arrangement et s’affichaient contre l’école homogène.
C’était avant l’adoption en 1982 de la Charte canadienne des droits et libertés qui allait garantir aux minorités de langue officielle le droit à l’enseignement au sein de leurs propres établissements.
Ce soir d’avril, une SFM soucieuse de ses bonnes relations avec la DSSB a refusé d’appuyer les parents, les abandonnant dans leur lutte contre Goliath. Trahis par leur unique défenseur politique, les parents de Taché ont pris leur cause en mains. Sauf que le levier constitutionnel n’existait pas encore. Imaginez David sans fronde.
C’est ainsi qu’a débuté une des luttes épiques du Manitoba français. Armés de leur seule légitimité, les parents ont monté aux barricades et attaqué leurs ennemis par tous les moyens. Dans les archives de 1974 d’un journal torontois, on trouve des lettres signées par Camille LeGal et Robert Levacque dénonçant vertement l’injustice manitobaine. Nos stratégiques épistoliers auraient semé leur indignation à grandeur du pays.
Deux ans plus tard, l’élémentaire rouvrait ses portes. Sur les lieux, des parents sidérés ont trouvé l’édifice vidé de son mobilier. C’était un prix à payer. Mais une fois lancés, les efforts des parents ont fait boule de feu : des prématernelles, programmes et écoles homogènes se sont multipliés.
En 1976, la Fédération provinciale des comités de parents était fondée par la SFM. Pionnier au Canada, ce mouvement a réussi à transformer en moins de 20 ans des générations de craintifs en militants organisés. Il faudra un jour raconter cette histoire extraordinaire qui a changé notre destin collectif.
Le résultat fut étonnant. Après une longue cause des parents jusqu’en Cour suprême, un bloc de 20 communautés adhérait en 1993 à la nouvelle Division scolaire franco-manitobaine (DSFM) avec des majorités écrasantes. Le vote de Taché frôlait l’unanimité.
Il s’avéra que plusieurs écoles cédées par les divisions anglophones avaient été vidées. On avait aussi légué à la DSFM un immobilier de 2e classe. Quelle barbarie! Pour que les inscriptions puissent augmenter, ne fallait-il pas que les infrastructures soient à la hauteur? À Taché, les agrandissements devaient passer par l’expropriation de la fabrique de fer voisine et la démarche fut immédiatement entreprise.
Début 2011, la DSFM prenait possession du terrain exproprié au coût de 4,5 millions $. Après deux ans et demi pour démolir, nettoyer et décontaminer, la Province vient d’annoncer 8,5 millions $ de rénovations, dont un espace très attendu pour le service de garde Le P’tit Bonheur. Pourquoi le processus aura-t-il duré 20 ans?
L’école Taché est emblématique et remarquable. Les parents et la DSFM ont bien raison de se réjouir. Ceux et celles qui ont mené ce combat pendant 40 ans méritent d’être reconnus et célébrés.