L’Ontario est en train de modifier le statut de son Commissaire chargé des services en Français afin de lui attribuer davantage d’autonomie. Le Manitoba va-t-il emboîter le pas à l’Ontario et quand va-t-il passer d’une politique à une loi sur les services en français?
Trente ans après la Crise linguistique et 15 ans après le renouvellement de la Politique sur les services en langue française, le temps est-il propice au renforcement du statut bilingue de la province? À l’instar du Nouveau-Brunswick, l’Ontario vient de déposer un projet de loi consacrant l’indépendance de son commissaire des services en français (CSF). Dans l’ordre des choses, le Manitoba serait la prochaine juridiction à emboîter le pas. Mais le dossier entre les mains de la Société franco-manitobaine (SFM) n’avance pas.
Au Nouveau-Brunswick, la commissaire aux langues officielles (CLO), Katherine d’Entremont, a été nommée en juin pour un mandat de sept ans, non renouvelable. En Ontario, le mandat du (CSF) changera sous peu : un projet de loi a été déposé pour que François Boileau relève dorénavant de la Législature et non d’un ministère. Les deux mesures visent à maximiser l’indépendance par rapport au gouvernement.
Au Manitoba, la responsabilité de mise en œuvre de la Politique et de promotion des services en français est entre les mains du Secrétariat aux affaires francophones (SAF). Nommée en septembre, la directrice générale Mélanie Cwikla répond au Bureau du premier ministre. Pour le moment, le Manitoba a refusé le projet de remplacer la Politique par une loi.
Il y a deux enjeux de base : le cadre juridique et le statut du défenseur. Les commissaires sont des officiers autonomes répondant à la Législature en vertu d’une loi provinciale ou territoriale, comme c’est le cas dans quatre juridictions. Dans les autres, des fonctionnaires coordonnent des services au sein d’un ministère selon une politique ou un décret ministériel, ce qui constitue un niveau de protection limité.
« On n’est pas indépendant, reconnaît Mélanie Cwikla, on ne peut pas critiquer le gouvernement publiquement. L’orientation du SAF pourrait être modifiée, oui, mais plus en fonction d’un changement de ministre que d’une allégeance politique. Il reste qu’on est dans une situation unique au Manitoba en répondant directement au premier ministre. Ça nous donne accès à l’appareil gouvernemental et beaucoup d’autonomie. On est en bonne position pour faire avancer les dossiers importants. »
« La différence entre un commissaire autonome et une direction administrative, selon François Boileau, c’est que le commissaire peut tenir un débat sur la place publique. Ce statut reflète la volonté du gouvernement en place de faire avancer le développement de sa communauté francophone. »
Il est problématique, selon l’avocat Rénald Rémillard, « de servir le gouvernement et de le critiquer en même temps ». Le militant pour la justice en français suggère une autre voie : « La défense des droits linguistiques ne pourrait-elle pas faire partie du mandat de l’ombudsman provincial? Ça ajouterait à la protection et à la normalisation des services ». En effet, le Manitoba a réuni dans un bureau d’ombudsman ce que le Nouveau-Brunswick partage entre huit postes de commissaire.
Le CSF de l’Ontario souhaite que toutes les juridictions se donnent un commissaire et une loi cadre. « Les gens me répondent : ça va très bien chez nous, on n’a pas besoin de faire des changements maintenant. Mais c’est justement quand ça va bien que c’est le moment de changer les choses. »
Comme prochain pas, lance François Boileau, « Les Manitobains pourraient se doter d’une loi cadre pour regrouper toutes ses lois concernant les services en français. » Car au fil des décennies, la Province a légiféré pour modifier la charte de Winnipeg (1992) et établir le Centre culturel franco-manitobain (1973), la Division scolaire franco-manitobaine (1993), l’Université de Saint-Boniface (2011) ainsi que les centres de services bilingues (2012). La mise en œuvre de ces lois et de divers règlements est au cœur du mandat du SAF.
« À l’assemblée de la SFM de 2011, rappelle l’analyse politique Michel Lagacé, le premier ministre a rejeté la proposition de légiférer dans le domaine des services en français, tout comme il l’avait fait en campagne électorale. Pas un seul membre de l’assistance, et surtout du Conseil d’administration de la SFM, n’a dit un mot à ce moment-là. Il n’est pas surprenant que Greg Selinger interprète comme un consentement le mutisme de l’organisme de revendication. »
La communauté juridique de l’Ouest canadien met entre-temps beaucoup d’espoir dans une cause albertaine évoluant devant les tribunaux depuis dix ans. Une décision de la Cour d’appel de l’Alberta est attendue cet automne. Selon Rénald Rémillard, un jugement favorable de nature constitutionnelle aurait un impact sur le déploiement de services en français dans toute la région.
Par Jean-Pierre DUBÉ | TW : @jeanpierre_dube