À la veille d’éliminer 312 postes, Radio-Canada recevait un rapport sénatorial très critique de la place que le diffuseur accorde aux communautés de langue officielle en situation minoritaire. Le 10 avril, il a néanmoins coupé 82 emplois hors Québec. La ministre Glover tendra-t-elle la main?
« On peut comprendre que les pressions financières causent des problèmes à Radio-Canada, souligne la présidente du Comité sénatorial permanent des langues officielles, la sénatrice Claudette Tardif. Mais il faut quand même que les obligations linguistiques soient respectées, peu importent les contraintes. Les décisions qui sont prises ont des conséquences encore plus néfastes en milieu minoritaire. On n’a pas d’autre diffuseur public. »
Les mots les plus durs sur la troisième vague de compressions en cinq ans au financement de la société d’État sont venus du président du Syndicat des communications de Radio-Canada, Alex Levasseur. « C’est la chronique d’une mort annoncée, a-t-il déclaré au journal Le Devoir, la faillite d’un système aussi.
« Il va y avoir d’autres coupes de service et des secteurs complets de la couverture vont disparaître, a-t-il déclaré. D’ici peu, Radio-Canada/CBC devra retourner devant le CRTC parce qu’il ne respectera plus les engagements fondamentaux de sa licence. »
Selon le rapport sénatorial, publié après avoir accueilli 80 témoins sur deux ans, la SRC ne répond plus à ses obligations en matière linguistique. « Les communautés veulent se voir, s’entendre et se lire sur les ondes de Radio-Canada, explique Claudette Tardif. Pas seulement sur le plan régional mais aussi à l’antenne nationale. Les communautés tiennent beaucoup à la SRC. On critique fortement parce qu’on veut que le diffuseur réponde davantage aux attentes. »
En plus des réductions aux nouvelles et aux sports, la SRC frappe l’animation de l’émission nationale de la matinée à Espace Musique. Les onze animateurs de radio de tous les coins du pays, qui se partagent les ondes de 8 h 30 à midi, seront remplacés par l’équipe de Montréal.
Coupures de postes aux services français
8 en Acadie
74 Ontario et Ouest canadien
230 au Québec
312 au total, dont
47 aux nouvelles nationales
55 à la couverture sportive
Le président-directeur général de la société d’État, Hubert Lacroix, a annoncé des coupures de 130 millions $ et 657 mises à pied sur deux ans aux réseaux anglais et français. La SRC/CBC compte présentement 8 400 employés et des revenus annuels de 1,5 milliard $.
Le rapport sénatorial demande au ministère du Patrimoine canadien de maintenir le Fonds pour l’amélioration de la programmation locale, qui permettait d’offrir au réseau davantage de contenus locaux et régionaux. « C’est la seule recommandation qui demande plus de fonds », signale la sénatrice albertaine.
« Il faudrait aussi revoir toute la culture organisationnelle, selon Claudette Tardif. On demande des mécanismes de consultation, de reddition de comptes, de rapports détaillés sur la place des communautés. On veut aussi plus de participation des communautés aux bulletins nationaux et plus de productions indépendantes. » Le Comité a demandé à Radio-Canada de lui rendre des comptes avant la fin de l’année 2014 sur ses intentions quant aux
12 recommandations.
Mais face à l’annonce de nouvelles compressions budgétaires, la sénatrice Maria Chaput ne cache pas ses inquiétudes. Selon elle, la SRC, avec son effectif actuel n’arrivait déjà pas à respecter pleinement ses obligations vis-à-vis des communautés francophones hors Québec. Avec ces nouvelles coupures, « comment Radio-Canada va-t-elle pouvoir répondre aux recommandations du rapport du comité sénatorial?, se questionne-t-elle. Je suis inquiète comme beaucoup d’autres ».
« C’est une menace sérieuse sur l’avenir des services en français, poursuit Maria Chaput. C’est critique. Si on ne fait rien, on risque de ne pas pouvoir protéger nos acquis. »
| Aide du Fédéral?
« Il va falloir que le gouvernement investisse pour assurer un service adéquat partout au pays, martèle le président-directeur général de la Société franco-manitobaine, Daniel Boucher. C’est le diffuseur public avec qui on a le plus l’occasion de se voir et de se faire entendre. »
Mais la ministre de Patrimoine canadien ne semble pas prête à investir en ce sens. Elle déclarait le 11 avril dernier à La Liberté que son gouvernement continuait d’encourager la société d’État. « On met des fonds significatifs dans Radio-Canada, assure la ministre. Mais, comme l’a dit leur président, Hubert Lacroix, ils ont des défis avec les revenus publicitaires. Et ils ont des défis avec le déclin de leurs téléspectateurs dans certains groupes démographiques.
« C’est leur président et leur conseil qui ont pris ces décisions et ça n’a rien à faire du tout avec n’importe quelle action du gouvernement, poursuit-elle. Nous autres, on met encore les fonds qu’on avait mis. On n’a rien changé. Le gouvernement fédéral continue à donner un investissement significatif parce qu’on reconnaît l’importance de la société d’État. »
Pourtant les chiffres du budget fédéral présentés par l’ancien ministre Jim Flaherty lui-même en 2012, annonçaient déjà une coupure de 115 millions $ sur trois ans pour Radio-Canada.
Le porte-parole en matière de Patrimoine du côté de l’Opposition officielle, Pierre Nantel, voit pour sa part une volonté claire du gouvernement actuel de nuire au diffuseur public.
« Madame Glover préfère mettre ses lunettes roses plutôt que de dire la vérité : les conservateurs ont affaibli Radio-Canada avec leurs compressions idéologiques. » Les propos de Monsieur Nantel sont accompagnés dans un courriel à la rédaction de La Liberté d’un tableau publié par l’association Friends of Canadian Broadcasting à l’adresse https://www.friends.ca/files/PDF/cbcgrant-2014update.pdf.
| Se faire entendre
Daniel Boucher, quant à lui, rappelle qu’« il est important que la communauté fasse entendre sa voix lors de l’assemblée publique de consultation » qui aura lieu à Edmonton le 29 avril prochain à 20 h (heure du Manitoba). Les personnes intéressées pourront se faire entendre sur place et par web diffusion ou soumettre leur question à l’avance à l’adresse [email protected].
Le Commissariat aux langues officielles possède plus de pouvoirs que le Sénat quant aux obligations linguistiques de Radio-Canada. Le commissaire Graham Fraser croit qu’il a le pouvoir d’enquêter sur la réduction de la programmation locale. Il a contesté en Cour fédérale la prétention de la SRC que ses responsabilités en vertu de la Loi sur les langues officielles (LLO) ne concernent pas sa programmation.
Dans son ordonnance de 2012, la Cour a reconnu le conflit entre la LLO et la Loi sur la radiodiffusion. Le juge a demandé à suspendre les procédures en attendant que les deux parties obtiennent un avis du CRTC. La cause pourrait se régler en 2014.
Jean-Pierre Dubé (APF) et Wilgis Agossa