Y a-t-il une réponse simple à la question : qui est Franco-Manitobain? Ou encore, qui fait partie de la francophonie manitobaine? Ou enfin, qui a le droit de parole à la prochaine assemblée générale annuelle de la Société franco-manitobaine (SFM) et aux États généraux que l’organisme « porte-parole officiel de la population francophone du Manitoba » a été mandaté d’organiser?
Au Canada, n’est pas francophone le francophone qui le veut. C’est ce qui a poussé la SFM à déposer il y a bientôt un an et demi une plainte auprès du Commissaire aux Langues officielles. D’après la définition de “francophone” utilisée par Statistique Canada et le Conseil du Trésor pour l’administration de la Loi sur les langues officielles, Mamadou Ka, le président du conseil d’administration de la SFM, n’est pas francophone. Vous voyez, ce très francophone professeur de sciences politiques à l’Université de Saint-Boniface n’a pas le français comme langue maternelle.
Ironiquement, l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés, la pierre angulaire des droits scolaires des minorités de langues officielles, apporte aussi des restrictions légales à la définition de francophone. À un point tel que la francophonie pancanadienne court le risque de devenir plus exclusive qu’inclusive.
D’ici une autre génération, on pourrait se retrouver avec une francophonie composée presque uniquement des enfants de la Charte. Un manque d’ouverture qu’avaient déploré des jeunes du Conseil jeunesse provincial alors qu’ils annonçaient le début de leurs propres états généraux.
C’est une tendance qui ira en s’accentuant si les juges de la Cour suprême du Canada ne donnent pas raison à la Commission scolaire francophone du Yukon (CSFY). L’une des questions en litige dans la cause de la CSFY est de savoir qui peut être inscrit à une école francophone.
Dans certaines provinces et territoires, on ne reconnaît pas le droit des conseils scolaires francophones d’accorder des permissions d’admission à des non ayants droit – des ancêtres francophones, des immigrants et des francophiles – qui veulent et qui pourraient contribuer à la vitalité des communautés francophones. Si la CSFY perd cette cause, ce sont tous les conseils scolaires qui pourraient y perdre.
En fin de compte, c’est la SFM qui a la définition la plus inclusive de la francophonie. Malgré le qualificatif « franco-manitobaine » qui figure dans son nom depuis les années 1970, elle s’en tient à la définition de langue d’usage seulement. A droit de parole à l’AGA toute personne qui paye sa cotisation et qui accepte de s’exprimer en français. Ce qui élargit le cercle pour inclure tous les bilingues manitobains qui voudraient participer.
Ah, si la vie était aussi simple! Les mots, affirme la professeure Judith Patouma de l’Université Sainte-Anne en Nouvelle-Écosse, ne sont pas innocents. Pour cette sociolinguiste doctorante de l’Université de La Réunion, France, et conférencière invitée au dernier congrès annuel de l’Association canadienne d’éducation de langue française (ACELF), « Quand on parle d’une langue, on parle aussi d’une culture ».
Entre la langue et l’identité, entre le droit individuel et l’appartenance collective, entre les impératifs globaux et les besoins locaux, il y a matière à réflexion. Quitte à centrer le dialogue sur une question plus vaste, à savoir ce que signifie être membre d’une communauté.