Par Bernard Bocquel
La Liberté du 23 septembre 2015
I l est évident que si le magazine Maclean’s n’avait pas décrété plus tôt cette année que Winnipeg était la ville la plus raciste au Canada, le maire Brian Bowman et ses conseillers n’auraient pas senti la nécessité de tenir un « Sommet national sur l’inclusion raciale ».
L’objectif était de développer de nouvelles idées pour combattre ce qu’il est convenu d’appeler le racisme. Un but en soi louable, puisqu’il va tout autant de soi que la rencontre de gens de bonne volonté peut apporter de prometteuses pistes pour tenter de court-circuiter à la racine des réflexes basés sur la peur de l’autre due à l’ignorance.
Il aurait cependant été plus nécessaire encore de s’interroger sur l’intérêt même d’employer le mot « race », qui est déjà passé par plusieurs significations depuis qu’il existe. Son usage le plus détestable s’est imposé au début du XXe siècle. À un temps où l’Europe atteignait l’apogée de sa puissance. À un temps où des intellectuels, convaincus de la supériorité de la Science, s’arrogèrent le droit de hiérarchiser les gens de la Terre en fonction de leur apparence et au nom de critères prétendument scientifiques.
Inutile d’insister sur l’aveuglement terrible produit par cette pseudo manière objective de voir les autres. Tous nous avons en tête des exemples de dérives tragiques, nées de ces sentiments de supériorité.
Le pire en l’affaire est que ces soi-disant scientifiques étaient convaincus du sérieux de leurs travaux. Au moins, en ce début du XXIe siècle, les esprits les plus éclairés sont bien conscients que la Science n’est pas neutre, qu’elle n’est pas à l’abri de préjugés culturels, de partis pris, d’idées reçues. Autre avancée positive dans ce nouveau siècle : les formidables développements technologiques des dernières décennies ont donné à des scientifiques sortis de leur complexe de toute-puissance d’extraordinaires outils pour rectifier des dommages produits par certains de leurs prédécesseurs.
Ainsi il est dorénavant acquis, indiscutable démonstration scientifique à l’appui, que les humains, quels que soient leur couleur, leurs penchants culturels, leurs convictions religieuses, partagent tous une commune biologie. De naissance, irrévocablement, un humain est un humain.
Mais, trop souvent, par réflexe, l’humain d’un certain âge qui a accepté son conditionnement social ne veut pas entendre cette vérité. Il refuse de s’identifier à l’humanité de celui dont il se méfie a priori . Il s’interdit de lui accorder la même valeur. Avec pour terrible conséquence de nier sa propre humanité, il va alors s’inventer une histoire pour bien marquer sa différence avec l’autre. Pour réussir son tour de passe-passe, il va avoir besoin d’un mot clé pour justifier son rejet.
Parfois ces mots-écrans sortent de l’imaginaire de l’inventeur de la fiction, parfois il s’agit de mots courants qui sont condamnés à revêtir un autre sens. Le mot « race » est un de ces vieux mots auxquels on a imposé différents sens au fil des siècles. À l’heure actuelle « race » est au coeur de la narrative qui exprime le refus de reconnaître l’humanité de celui dont on ne veut rien savoir, de celui qui dérange. Cette manière de penser et d’agir n’est évidemment pas le propre d’aucune « race », ethnie, peuple, espèce, etc.
Face à l’évidence que nous sommes tous de la même « race », face au fait que nous sommes tous pris ensemble sur une petite planète avec des problèmes économiques et écologiques inextricablement liés, il serait quand même vraiment temps de rejeter ces façons de penser « racialement » pour cesser de nous enfermer dans nos petites divisions.
Dit autrement, depuis qu’il est acquis que nous appartenons tous à la même « race », il n’est plus possible d’être raciste, à moins de s’obstiner à nier l’évidence scientifique. Dorénavant, le raciste est celui qui se retourne contre lui-même. Être raciste, c’est attenter à sa propre humanité, puisqu’en rabaissant l’autre, on se blesse soi-même.
On se blesse soi-même, car on s’interdit de s’aimer véritablement . En effet, s’il existe une vérité sûre, c’est bien celle-ci : pour vraiment aimer une autre personne, il faut absolument s’aimer soi-même. La question fondamentale qui s’impose est donc celle-ci : comment est-il possible de s’aimer authentiquement pour aimer ceux et celles qu’on désire aimer, tout en méprisant des pans entiers de l’humanité de laquelle on est spirituellement solidaire au prétexte que ces gens ont une autre teinte de peau?
À la lumière de cette impossibilité, il est clair que le « raciste » n’est pas juste un ignorant. Il est, infiniment plus gravement, un handicapé de l’amour. À Winnipeg comme partout ailleurs sur la Terre.