Par Bernard Bocquel
La Liberté du 6 juillet 2016
Au 149e anniversaire de la Confédération canadienne, le Premier ministre Justin Trudeau a décidé de souligner la diversité de la société canadienne. Pour le 150e, souhaitons qu’il puisse faire de la maturité de cette même société son thème central.
L’unanimité qui a entouré le passage de la Loi sur l’appui И l’Оpanouissement de la Francophonie manitobaine pourrait bien lui servir d’exemple. L’évolution des esprits politiques en terre manitobaine à l’égard du bilinguisme est en tout point remarquable. Il faut saluer la volonté des députés de sortir la question linguistique du champ de la partisannerie.
Il s’agit sans doute à ce stade-ci de l’évolution de la société manitobaine d’une attitude qui tient autant de la bonne volonté que de la prudence. Il reste en effet sage de penser que la dimension bilingue du Manitoba ne fait pas encore l’objet, dans l’ensemble de la population, d’un consensus aussi éclairé que celui qui prévaut à l’Assemblée législative.
L’Histoire des pays nous prouve trop souvent que les germes de division et de haine peuvent être dormants pendant des décennies, voire des siècles, et soudainement contaminer les plus paisibles des âmes en réveillant en elles des peurs irrationnelles. Alors qu’en surface, tout semblait baigner dans la plus sûre des bonnes ententes. Les belles paroles d’autosatisfaction qui coulent à flot les 1er juillet ne sauraient masquer l’âpre réalité : il suffit parfois qu’une juste politique menace tel privilège ou tel avantage financier personnel pour que les belles paroles volent en éclats.
En guise d’exemple, nous n’avons pas à aller bien loin. Nous avons juste à remonter le temps. Le 16 juillet 1970, l’un des gouvernements les plus actifs du Manitoba, celui d’Ed Schreyer, obtient l’unanimité des députés pour son projet de loi 113, qui refaisait du français une langue d’enseignement de plein droit. Il s’agissait là d’un pur résultat de volonté politique, pile au moment où la Province du Milieu célébrait son centenaire.
Dans La LibertО d’alors, qui bénéficiait encore de l’appui de pères Oblats versés en histoire et conscients de leurs responsabilités de présenter aux lectrices et lecteurs la mise en perspective la plus favorable, la rédaction avait titré, au sujet de cette loi permissive : « Une abrogation de la loi de 1916 [qui avait interdit d’enseigner en français]. L’avenir est enfin entre nos mains. Un pas de géant vers un Canada bilingue. Une reconnaissance sans équivoque de l’égalité des deux langues officielles. »
Dans La LibertО et Le Patriote du 22 juillet 1970, on pouvait lire cette claire synthèse de la Loi 113 : « La nouvelle loi remet entre les mains des parents et de leurs représentants, les commissaires d’écoles, le droit et la responsabilité de voir à l’éducation bilingue de leurs enfants. »
Le grave problème, c’est que les généreuses intentions des législateurs se sont heurtées de plein fouet à des mentalités axées sur l’impérative exigence économique de posséder l’anglais. La part du français dans la vie de tous les jours était jugée suffisante, surtout peut être même depuis l’élimination du latin pour la messe catholique au Concile Vatican II (1962-1965).
Notre propos ici n’est pas d’insister sur les interminables guerres scolaires (il n’y a pas d’autre mot) pour l’obtention de classes françaises, puis d’écoles françaises menées entre le début des années 1970 jusque dans les années 1990 par une simple poignée de militants archiconvaincus. Il s’agit simplement de souligner le décalage entre une élite politique avertie et son électorat.
Le comble du décalage entre un sens de la justice, raisonné par des juristes ouverts d’esprit, et les pensées de gens aveuglés par des slogans simplistes du style One Nation, One Language, s’est évidemment produit au Manitoba lors de la crise linguistique de 1983-1984.
Trente ans plus tard, suite à beaucoup de petits pas politiques (1), et grâce à une conjonction politique exceptionnelle, un nouveau consensus politique en faveur du bilinguisme manitobain vient de se produire. Maintenant qu’il s’agit de concrétiser les possibilités ouvertes par la Loi 5, nous allons pouvoir déterminer si la maturité des Manitobaines et Manitobains est en résonnance avec celle de leurs élus, et tout particulièrement celle de la ministre des Affaires francophones, Rochelle Squires.
(1) D’abord les petits pas effectués par le progressiste-conservateur Gary Filmon à partir de 1989 ; ensuite par les néo-démocrates sous l’influence active de Greg Selinger à partir de 1999. Notons en passant que le 14 juin 2012, la Loi sur les centres de services bilingues avait aussi fait l’unanimité au Palais législatif.