29 artistes autochtones contemporains se sont emparés du Musée des beaux-arts de Winnipeg (WAG) pour une exposition de grande envergure au titre percutant : INSURGENCE/RESURGENCE. À l’origine de ce projet ambitieux : Jaimie Isaac, commissaire à l’art contemporain et autochtone, et Julie Nagaam, présidente des arts indigènes en Amérique du Nord à l’Université de Winnipeg.

Valentin CUEFF

Pouvez-vous revenir sur les origines du projet, notamment le fait que c’est votre plus important projet en taille?

J.N. : Cela nous a pris entre un an et demi et deux ans.

J.I. : Nous avons mis toute notre énergie sur deux propositions de projet, et les responsables au WAG ont choisi le concept d’INSURGENCE/RESURGENCE. Quand on a développé ce projet, on s’est basé sur le travail qu’on avait fait auparavant, en prenant note de ce que les gens font dans leur travail. Donc c’est un peu le fruit de nos propres recherches, les connaissances qu’on a acquises, et aussi une sensibilité à ce sur quoi les artistes travaillaient.

J.I. : C’est la première fois qu’on travaillait ensemble sur un tel projet. On s’est beaucoup amusé. Le défi a été la sélection des œuvres, parce qu’il y avait tellement de bons travaux. Ce qui était aussi une bonne chose, d’avoir tant d’artistes géniaux. Mais il était difficile…

J.N. : … Difficile de garder un nombre d’œuvres raisonnables. (Rires)

Le titre de l’exposition, tout en capitales, capte l’attention. Il semble appeler une réaction politique.

J.I. : Je ne pense pas, pas vraiment. On voulait plutôt mettre à l’honneur le travail déjà accompli par ces artistes et l’énergie qu’ils ont déployée. On se focalise sur ce qui est déjà arrivé dans le monde des arts, pour reconnaître et honorer l’insurrection politique menée par les Premières Nations, les Inuits et les Métis. Ceux dans les premières lignes dans les manifestations, contre les tarifications de l’eau et le prix des terres. On voulait se concentrer là-dessus et sur les choses qui arrivent en politique actuellement.

J.N. : C’est une exposition politique. Quand on pense à l’idée de résurgence, on pense à l’actualité, au fait qu’il y a un enthousiasme, une électricité, une sorte d’effervescence en ce moment, surtout depuis Vérité et Réconciliation et ses appels à l’action. Le gouvernement, les municipalités, au national, au local… Les gens sont de plus en plus conscient des problèmes que rencontrent les populations autochtones. Il y a tout cela, et aussi ce dont parlait Jaimie : beaucoup ont marché avant nous. Nous avons toujours été politiques, ce n’est pas seulement le contexte actuel. Alors on est intéressé par cet aspect politique historique et en même temps, on souhaitait honorer le fait que certains des artistes contemporains prennent des connaissances intergénérationnelles et les transforment en un travail moderne.

“On souhaitait honorer le fait que certains des artistes contemporains prennent des connaissances intergénérationnelles et les transforment en un travail moderne.”
Julie Nagaam

J.I. : Concernant cet aspect politique, je pense aussi que l’exposition intervient dans le contexte du dialogue du 150e. Elle apporte un contrepoids. On fait attention à ne pas enfermer l’exposition dans l’expérience autochtone du colonialisme. Elle est davantage axée sur la transcendance de la reconnaissance du colonialisme et la résurgence culturelle dans nos pratiques et dans les connaissances autochtones.

Donc il y a la volonté d’élever les consciences des gens qui viennent ici?

J.I. : Je pense. D’une bonne façon, en défiant les stéréotypes. C’est une opportunité pour les gens de transcender ces clichés persistants sur les autochtones.

Pensez-vous que la culture et les arts peuvent parfois conduire des messages plus fortement que la voie politique ou activiste?

J.N. : Je pense que les deux se mobilisent de différentes façons. Pour nous, il y a un message ici, mais dans le même temps, les personnes aux premières lignes qui marchent et manifestent, sont tout aussi importantes. Ce qu’on regarde ce sont les artistes qui capturent ces moments, donc il y a différentes œuvres ici qui évoquent le développement hydroélectrique, ou le pétrole dans les sables bitumineux. Toutes ces choses amènent les gens à continuer à lutter.

J.I. : Je pense que ces deux voies affectent différemment les gens. Je ne les mettrais pas en opposition. Ce sont deux façons d’apprendre tout aussi importantes.

J.N. : Et des personnes différentes ont différentes façons d’apprendre, pas vrai? Pour certaines personnes, le discours ne les impacte pas, mais c’est une expérience personnelle qui va le faire. Ou une œuvre visuelle.

J.I. : Plus fortement qu’en lisant un journal.

À propos des recherches qui ont mené à la construction de l’exposition. Comment avez-vous rejoint tous ces artistes?

J.I. : Nous avons visité des ateliers et invité des artistes de cette façon. Nous les avons aussi rejoint sur Facebook, ou par message texte. On a appelé, envoyé des courriels…

J.N. : On voulait se focaliser sur des artistes autochtones émergeants. On voulait aussi des artistes reconnus dans le milieu. On a également regardé au Nord, au Sud, à l’Est… Pour être sûrs de représenter un maximum de populations autochtones. Et inclure aussi des artistes LGBTQTS.

J.I. : On souhaitait aussi la création d’un dialogue de Nation à Nation. Nous avons plus de 15 Nations représentées dans l’exposition. Avec ça, vient un échange unique d’expériences et de connaissances. C’est incroyable de voir les visions d’un artiste dénés, un autre micmac. Voir ce qui les distingue et les rend uniques. Je pense que ça renverse aussi le stéréotype de l’autochtone comme une seule personne. Je pense que la culture populaire a définitivement perpétué cette idée de l’Indien avec la coiffe et l’hyper-sexualisation des femmes autochtones, par les vêtements vendus chez de grandes marques comme Urban Outfitters ou Forever 21. C’est aussi remis en question dans cette exposition. Un dialogue sur la résistance, le refus ethnographique et anthropologique, les expressions d’une sexualité… Il y a tellement de choses abordées ici. Aussi, quand on voit le programme, il y a la volonté de sortir le spectateur d’une certaine passivité, pour prendre part au dialogue.

“C’est incroyable de voir les visions d’un artiste dénés, un autre micmac. Voir ce qui les distingue et les rend uniques.”
Jaimie Isaac

J.N. : On voulait vraiment engager la communauté. On voulait donc avoir ces thèmes politiques, un nouveau chaque mois durant toute l’exposition. Et c’était important d’engager le spectateur pas seulement par l’interprétation visuelle, mais aussi par d’autres types d’activités qui l’impliquent autrement. On était intéressé à impliquer les gens en allant contre les règles de ce qu’une galerie propose habituellement. Beaucoup de gens qui sont venus ont mentionné la forte impression que laisse le bâtiment dans ce nouvel aspect. Même pour moi, à l’ouverture de l’exposition, j’ai senti que le lieu était encore plus accueillant, porteur d’une énergie différente, dans un bâtiment tout en pierre comme celui-ci (rires).

Le fait que cette exposition est présentée comme la plus importante d’artistes autochtones contemporains?

J.N. : Il y a eu d’importantes expositions avant nous mais c’est la première aussi importante au WAG. Et ce n’était pas une exception. On va continuer à travailler ensemble et continuer à travailler à cette échelle.