Daniel Raiskin, le nouveau directeur musical de l’Orchestre symphonique de Winnipeg, croit qu’un chef d’orchestre doit avant tout respecter les musiciens qu’il dirige. Rencontre avec un homme doué d’une immense ouverture d’esprit.
Par Daniel BAHUAUD
Daniel Raiskin a dirigé des orchestres partout au monde, de Düsseldorf à Hong Kong, d’Athènes à Osaka. Le natif de Saint-Pétersbourg a la réputation d’être apprécié autant des mélomanes que de ses pairs musiciens.
« J’ai toujours gardé le souvenir de jouer l’alto dans l’orchestre du conservatoire de Saint-Pétersbourg. Je sais ce que j’attends d’un chef d’orchestre. Je veux qu’il m’inspire.
« Après tout, à la base, c’est quoi un chef d’orchestre? Un musicien. Les musiciens d’un orchestre symphonique sont bien formés. Comme lui. Ils ont cette capacité d’être inspirés, et de donner leur maximum. Comme lui. Alors le rôle principal d’un chef d’orchestre est de leur inspirer confiance. Qu’ensemble, sous sa direction, les musiciens puissent livrer une performance qui soit à leur hauteur. Et qui reflète autant leurs talent individuels et collectifs que ceux de celui qui est au bâton. »
Faut-il lire dans cette approche une conception plus égalitaire, qui reflèterait les anciennes écoles soviétiques de direction d’orchestre?
« Ce serait réduire une philosophie musicale à sa plus simple expression. Et surtout renier l’esprit musical russe, qui a été formé bien longtemps avant la Révolution de 1917. Cet esprit est plus communautaire que celui de l’Europe de l’Ouest. Je suis de culture juive, mais je sais pertinemment que l’Église orthodoxe a profondément contribué à cet esprit. Le christianisme occidental est plus individualiste. Les églises orientales mettent plutôt l’accent sur la communauté. Chaque musicien, chaque choriste, ainsi que leur directeur musical, contribuent à la gloire de Dieu. De manière plus terre à terre, disons qu’il s’agit de contribuer à donner le meilleur de soi pour la communauté. »
De culture, Daniel Raiskin ne saurait donc succomber au culte du maestro. « J’ai été vacciné contre le phénomène il y a bien longtemps, grâce à mes professeurs de direction musicale. Notamment Lev Savich, qui a été une grande inspiration. Il rappelait souvent qu’un orchestre est composé d’égaux. Pas d’égos. On n’a rien à gagner à crier, à insulter les musiciens ou se laisser emporter par des sautes d’humeur. »
Et tout à gagner d’être leur collaborateur?
« Absolument. Ça prend beaucoup d’écoute. En fait, le rôle principal d’un chef d’orchestre est d’écouter. Quand un orchestre répète, j’ai beau avoir mes idées par rapport aux tempi, aux accents, aux phrasées. Grâce à une écoute active, très souvent je m’aperçois que les musiciens m’offrent quelque chose de différent, mais de tout aussi beau, ou expressif, que ce que j’envisageais. Alors j’ajuste mon tir.
« Naturellement, je voudrais mettre de moi-même dans l’interprétation. Avant de répéter, j’ai déjà passé un ou deux mois à revoir la partition d’un ouvrage. J’ai déjà beaucoup réfléchi. Les musiciens aussi. Peut-être pas aussi longtemps, mais une suggestion sera toujours appréciée. Même si, au bout du compte, je ne l’intègre pas. »
Daniel Raiskin note que le chef d’orchestre doit être psychologue. « Dans le meilleur sens de l’expression. Lorsqu’on répète, je veux motiver, inspirer. Et pas manipuler. Je veux créer avec chaque musicien. Et je ne veux surtout pas qu’il se sente comme un petit rouage dans une grande machine à musique.
« Ce travail se poursuit hors de la salle de concert. La musique est un art très sensible. Le public le sait. C’est émouvant et enrichissant, intense et prenant d’accueillir une bonne performance. Imaginez ce que ça représente de la produire. À chaque concert, les musiciens donnent un peu de leur corps, de leur système nerveux, voire même de leur âme. Et aussi, comme nous tous, ils peuvent avoir leurs préoccupations, leurs distractions : la vie, la famille. Il faut les respecter, les écouter. »
Daniel Raiskin a dirigé l’Orchestre symphonique de Winnipeg trois fois depuis 2015. Il s’estime particulièrement choyé. « Dès la première répétition, j’étais bouleversé, tant les musiciens avaient tout de suite démontré une capacité d’écoute extraordinaire. C’était comme ces rencontres fortuites, où on nous présente quelqu’un pour la première fois et qu’on a l’impression de connaître depuis bien longtemps déjà. Je me suis senti libre de créer, de me laisser emporter par la musique. Et de ne pas être tenté de regarder ma montre pour voir combien de temps il nous restait. Et ça, c’est précieux. Je peux vous assurer que dans le monde de la musique, une telle expérience est rarissime. »