À l’heure de passer sous presse, Rochelle Squires devait prendre la parole devant l’Assemblée générale annuelle de Pluri-elles le 23 mai 2018 pour mettre de l’avant la question de la violence sexuelle. Depuis le 4 avril, on sait que la députée de Riel a elle-même été victime d’un viol à l’âge de 13 ans. La ministre responsable de la Condition féminine tient à faire sa part pour encourager un dialogue public.
Par Catherine DULUDE
À qui vous êtes-vous confiée pour la première fois?
Rochelle Squires : À mon mari. Il est bien sûr très présent dans ma vie. Mais il avait peur que je fasse une sortie publique. Il ne savait pas comment ça se passerait. Et si j’allais tenir le coup.
Quand avez-vous décidé de partager votre histoire publiquement?
R. S. : Ça fait environ un an que j’y pensais. Avril est le mois de la sensibilisation à la violence sexuelle. Je crois bien que ça m’a pris un an à déterminer comment et quand j’allais partager mon expérience de survivante. En plus de trouver le courage de franchir le pas. Il s’agit de l’expérience la plus déchirante que j’aie vécue. Que ce soit à titre de ministre, de personnalité publique, mais aussi de femme et de survivante.
Après tant d’années de silence, pourquoi parler maintenant?
R. S. : Il est devenu évident pour moi qu’un important changement sur la manière dont on perçoit et parle de la violence sexuelle s’impose. Il m’est inconcevable que 34 ans après ma propre expérience la société parle encore de ces terribles situations de la même manière.
Qu’est-ce qui vous frappe à l’heure actuelle dans les conversations qui entourent la violence sexuelle?
R. S. : Que ce n’est toujours pas la majorité de la société qui soutient les survivantes des violences sexuelles. Comme moi à 13 ans alors que je me sentais extrêmement seule, je suis certaine qu’il y a toujours des femmes et des jeunes filles qui se sentent harcelées et isolées. Il faut savoir que 95 % des violences sexuelles ne sont pas rapportées à la police. Cette statistique m’horrifie.
Dans votre volonté de contribuer au dialogue entourant la violence sexuelle, qu’est-ce qui a été le plus difficile?
R. S. : J’ai des enfants. Ils sont presque tous adultes maintenant, mais je les ai toujours maintenus à l’écart de ce qui m’est arrivé en 1984. Aujourd’hui, je suis un livre ouvert, je suis prête à partager avec eux tout ce qu’ils veulent savoir. Mais je souhaitais aussi respecter leur droit à ne pas avoir toute cette partie de ma vie dans leur tête.
Quand leur avez-vous partagé votre histoire?
R. S. : Il y a un an. Quand j’ai commencé à songer à en parler publiquement, je leur ai confié que j’étais une survivante. C’est une conversation extrêmement difficile à avoir avec ses enfants. J’ignore toujours si j’ai été juste envers eux en leur partageant cette histoire, alors que je m’étais battue toute ma vie pour les en protéger. Le matin même du jour où je faisais mon commentaire public [le 4 avril 2018], à tous j’ai envoyé un petit texto du genre : Hey les enfants, maman va faire les nouvelles aujourd’hui à propos de quelque chose de très délicat. Je vais parler de violence sexuelle de manière personnelle, alors si vous voulez, évitez les réseaux sociaux.
Vos enfants ont sans doute réagi…
R. S. : Ils sont très forts. Et ils me soutiennent. Les jours qui ont suivi mon discours m’ont laissée sans voix. Le problème est tellement répandu. J’ai reçu des lettres, des appels, des messages sur les réseaux sociaux, des cartes d’un peu partout du pays de survivantes. La plus âgée avait 85 ans, et n’en avait jamais parlé.
Après de pareils témoignages, sentez-vous votre objectif atteint?
R. S. : Je voulais que toute personne atteinte par la violence sexuelle sache qu’elle n’est pas seule. C’est probablement l’expérience qui m’a laissée le plus isolée et stigmatisée dans ma vie. J’avais l’impression que mes cicatrices et mes blessures m’empêcheraient de pouvoir faire partie de la société à part entière. À tel point que j’ai gardé l’expérience secrète jusqu’à ma mi-trentaine.
En entrevue vous avez dit que ça vous a pris tout ce temps pour que la gamine de 13 ans en vous reconnaisse que ce n’était pas de sa faute. Est-ce qu’il a fallu 34 ans pour la convaincre, cette gamine?
R. S. : La plupart du temps, j’arrive à la convaincre. Pourtant ce travail intérieur n’est jamais fini. Après avoir été violée ou abusée, on sait bien que quelque chose de mal s’est déroulé. Alors on cherche dans la société, la culture populaire, la validation dont on a besoin pour consolider ses sentiments. Hélas, la société est polluée par des conversations où on blâme la victime. Alors on finit par se blâmer soi-même. C’est toxique.
Le mouvement #moiaussi sur les réseaux sociaux, comment le percevez-vous?
R. S. : Avec admiration. Je suis renversée par la quantité de témoignages. Au début, je le soutenais silencieusement. Puis petit à petit, j’ai gagné en confiance et j’ai commencé à parler plus fort. Le mouvement a mis en confiance beaucoup de gens. Et plus on en parle, plus on a de chances de convaincre les jeunes filles qui ont été abusées qu’elles ne sont pas responsables.