Les universités et collèges de la francophonie canadienne se tournent de plus en plus vers les marchés internationaux pour recruter des étudiants francophones. L’objectif : renouveler un bassin local qui s’épuise. Si autant d’efforts sont déployés, c’est bien parce que leur vitalité, et celle des communautés environnantes, est en jeu.
Par Lucas PILLERI (Francopresse)
« La francophonie hors Québec n’est pas bien connue à l’international, c’est toujours une surprise d’apprendre notre existence à l’étranger », regrette Lynn Brouillette, directrice générale de l’ACUFC, l’Association des collèges et universités de la francophonie canadienne.
L’organisme, qui rassemble 21 établissements, 1200 programmes et plus de 4000 étudiants internationaux, organise trois à cinq missions chaque année dans les nouveaux marchés, comme le Mexique ou les États-Unis, en plus des marchés traditionnels comme la France et la Belgique. La démarche est nécessaire pour ses membres, à l’instar de l’Université de Hearst où le besoin est criant : « Le déclin de la population et l’exode des jeunes, c’est une réalité dans le Nord de l’Ontario », déplore Samantha Losier, responsable de la vie étudiante.
La nécessité du recrutement à l’étranger est aussi réelle pour Raymond Day, directeur d’Avantage Ontario. Ce consortium regroupe dix universités et collèges francophones ou bilingues de la province, qui accueillent 6000 étudiants internationaux de langue française. « Certains programmes ont besoin des étudiants internationaux pour remplir les salles, surtout dans les zones rurales ».
Selon Benoît Clément, coordonnateur de la liaison internationale pour les marchés francophones à l’Université Laurentienne, c’est le mandat des institutions qui est en péril. « Ce sont les poches de francophonie qui assurent la présence de ces établissements. Il faut une masse critique suffisante pour justifier leur existence. » Le poids démographique des francophones en Ontario diminue, même si leur nombre relatif est en légère hausse, « d’où l’importance pour nous de recruter à l’international pour maintenir le développement de nos programmes en français ».
Explorer des marchés inexploités
Le champ de considération s’élargit pour les établissements francophones. « Le recrutement international prend de l’ampleur, confirme Samantha Losier de l’Université de Hearst. On déploie une grande énergie : on va dans les foires, on participe aux missions d’Avantage Ontario et on est sur les salons ÉduCanada ». Avantage Ontario mène aussi des campagnes sur les réseaux sociaux et par courriel.
Depuis plusieurs années, les universités sentent tourner le vent en leur faveur. Les pays les plus porteurs en Afrique sont le Cameroun, le Sénégal, la Côte d’Ivoire, le Maroc, la Tunisie et l’Algérie. En Europe, la France, la Belgique et le Luxembourg sont en tête. « Pendant longtemps, ces pays étaient tournés vers la France, la Grande-Bretagne ou les États-Unis pour les formations postsecondaires. Aujourd’hui, le Canada revêt un attrait significatif », relève Benoît Clément.
Le recrutement se prépare d’ailleurs bien en amont : « On fait beaucoup de travail à l’interne pour améliorer nos processus d’admission et on entretient des liens cordiaux avec les différentes ambassades », complète le coordonnateur à l’Université Laurentienne.
Pour attirer ces étudiants, le bilinguisme est un élément mis en avant. « Il y a un avantage double pour eux. Ils suivent leur formation en français et évoluent dans un environnement anglodominant sans compromettre leur réussite académique », indique le responsable. « Ça leur permet de perfectionner leur anglais », renchérit Lynn Brouillette.
L’autre argument, c’est la taille des établissements. « Nous avons des universités à taille humaine avec un suivi personnalisé et de vraies interactions, et non pas un système anonyme », souligne Samantha Losier. Benoît Clément la rejoint : « On a entre 9 et 10 000 étudiants à l’Université Laurentienne, ce qui donne 1 professeur pour 18 étudiants en moyenne. Par comparaison, il y a 70 000 étudiants à l’Université de Dakar… »
Enfin, les étudiants internationaux ont parfois la possibilité de payer les mêmes frais académiques que les Canadiens.
Une ouverture sur le monde
L’internationalisation du recrutement profite aussi aux étudiants locaux. Si l’expérience internationale enrichit les futurs diplômés, la proximité des cultures sur le campus apporte une autre richesse pour Lynn Brouillette. « Les étudiants internationaux contribuent beaucoup à la vie estudiantine », estime la directrice de l’ACUFC. Même constat pour Samantha Losier à Hearst : « Nos étudiants, qui viennent majoritairement du Nord de l’Ontario, vivent dans une société assez homogène et n’ont pas forcément la chance de voyager. Les étudiants internationaux amènent de nouveaux vécus et des traditions. On met beaucoup d’emphase sur cette diversité culturelle sur les campus. »
La présence d’élèves étrangers inciterait d’ailleurs une nouvelle génération d’étudiants à voyager. Samantha Losier, par exemple, observe une grande volonté de mobilité chez les étudiants de son établissement.
« C’est un problème canadien, soulève Raymond Day. Peu d’étudiants partent à l’international, notamment à cause du coût des études. Les gouvernements européens, eux, ont pris conscience de la valeur économique de la mobilité, par exemple avec le programme Erasmus, et investissent massivement pour aider les familles les moins aisées à envoyer leurs enfants à Paris, Londres ou Rome. »
Une pièce du casse-tête immigration
Pour Lynn Brouillette, il est évident que les universités et collèges francophones ont un rôle à jouer dans l’atteinte des objectifs de 4 % d’immigration francophone. « On s’insère dans la stratégie nationale qui vise à doubler le nombre d’étudiants étrangers de langue française au pays sur une période de 10 ans. Nos collèges et universités représentent un réseau très important pour la vitalité de la communauté francophone en milieu minoritaire, surtout en milieu rural ». En 2022, selon la stratégie du gouvernement, le pays devrait recevoir 15 000 étudiants internationaux francophones, contre 4000 aujourd’hui, afin de conserver le poids démographique des francophones. « C’est un objectif très ambitieux », considère la directrice.
L’Université Laurentienne prend cette mission au sérieux : « Nous entretenons des liens étroits avec les représentants d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada pour offrir des séances d’information sur les procédures à nos étudiants qui souhaitent rester », relate Benoît Clément. Quant à elle, Samantha Losier est consultante réglementée en immigration afin d’aider les étudiants dans leurs démarches de permis d’étude et de permis de travail post-diplôme. « Ce sont des candidats parfaits pour intégrer le marché du travail, car leur acclimatation est déjà faite », pense-t-elle. De plus, « ils peuvent œuvrer dans les deux langues officielles », souligne Lynn Brouillette, qui ajoute que leurs profils « participent à la vitalité des communautés en situation minoritaire ».