Par Sophie GAULIN
Une piètre bonne nouvelle, en plus servie réchauffée pendant la Semaine nationale des journaux. Une semaine qui a rassemblé plus de 400 journaux au Canada pour rappeler haut et fort au gouvernement fédéral l’intérêt que portent les citoyens et citoyennes à lire des reportages fouillés, de qualité, à l’heure où les fausses nouvelles mettent en danger les démocraties des pays les plus libres.
La piètre bonne nouvelle est venue par le biais de la ministre du Tourisme, des Langues officielles et de la Francophonie, Mélanie Joly. La Semaine nationale des journaux (1er au 7 octobre) était bien entamée quand le 4 octobre, la ministre a décidé de mettre sous la dent des journalistes SA bonne nouvelle. Sa tentative d’essayer de faire croire aux Canadiens que le gouvernement de Justin Trudeau entretenait l’intention d’aider la presse locale et régionale.
Mettons en perspective l’annonce ministérielle.
D’abord, les 4,5 millions $ saupoudrés sur cinq ans pour aider les médias de langue officielle en situation minoritaire avaient déjà été rendus publics lors du dévoilement du Plan d’action 2018-2023 au mois de mars. Donc rien de nouveau. Un simple effet d’annonce.
Ensuite il faut être conscient que cet argent ne va pas dans les coffres des journaux pour qu’ils puissent investir dans du nouveau matériel ou payer des journalistes expérimentés. Non, ces dollars sont tout juste destinés à rémunérer des stagiaires dans le cadre du programme Jeunesse Canada au Travail. Mieux que rien, diriez-vous. Sauf que les journaux sont contraints d’embaucher des jeunes canadiens ou résidents permanents, de moins de 30 ans, ayant étudié dans le domaine recherché et se trouvant sans emploi ou sous-employés au moment de la demande.
Quand on sait que, jusqu’à ce jour, il n’existe AUCUN programme en communication ou journalisme en français dans TOUT l’Ouest canadien, comment s’étonner que les candidatures sont rares, très rares. Une seule dans le cas de La Liberté. Alors que l’offre d’emploi est affichée depuis juillet dans TOUS les réseaux possibles et imaginables : réseaux universitaires d’anciens diplômés offrant un programme de communication ou de journalisme, réseaux sociaux, réseau de l’Association de la presse francophone et, plus récemment, dans le département d’aide à la recherche d’emploi de Pluri-elles.
Qu’on se le dise : financer 58 stages à travers le pays dans des journaux et des radios dits communautaires n’est absolument pas à la mesure de la crise que traversent les journaux, TOUS les journaux.
Au Manitoba, on n’aime pas les piètres bonnes
nouvelles, et encore moins quand elles sont servies réchauffées, voire re-réchauffées.
Le tour de passe-passe de Mélanie Joly pour faire croire à un intérêt du Fédéral envers la presse locale et régionale a quand même un mérite : il démontre une fois de plus clairement l’incompréhension totale des gouvernements successifs à l’égard de l’industrie de la presse et du métier de journaliste.
Si Mélanie Joly avait bien cerné la crise des médias, elle comprendrait que lorsque son gouvernement finance un stage, même à 100 %, il faut que sur le terrain un rédacteur sénior déjà très occupé se mette en plus de ses tâches à former le stagiaire. Une personne qui, la plupart du temps, ignore strictement tout de la province dans laquelle elle atterrit, tout des enjeux liés au contexte linguistique en situation minoritaire.
Et un an plus tard, le stage rémunéré terminé, le tout nouvel employé formé, on fait quoi? On recommence? C’est ça? C’est comme ça qu’on veut sauver le journalisme de qualité au Canada et prétendre revitaliser les communautés? À coup d’un stagiaire par année?
Soyons enfin sérieux. Ce dont la presse locale et régionale a besoin, c’est d’un financement de ses salles de nouvelles existantes. Oui, les journaux sont prêts à former la relève. Mais ils refusent catégoriquement de s’entendre dire que les 4,5millions $ du programme de Jeunesse Canada au Travail constituent une solution réfléchie pour financer une main-d’oeuvre solide dans les médias de qualité.
Complétons cette mise en perspective.
Et rappelons que la presse francophone d’un bout à l’autre du pays a perdu plus de 1,5 million $ par année en publicités gouvernementales dans les 12 dernières années. Au moins les sommes publicitaires versées auparavant l’étaient sans autre condition que celle de publier l’annonce envoyée par l’agence qui représente le gouvernement.
Quant aux 10 autres millions de dollars sur cinq ans (annoncés d’abord dans le cadre du Plan d’action, puis à nouveau le 4 octobre) qui seront accordés à partir de 2019, ils sont destinés à la réalisation de projets dans les journaux. Là se niche peut-être une meilleure nouvelle. Mais gardons à l’esprit que créer un journal de qualité, hebdomadaire ou quotidien, est déjà un très gros projet en soi.
Maintenant, espérons que le gouvernement n’attende pas 12 autres mois pour détailler ce programme-là durant la Semaine nationale des journaux 2019. Au Manitoba, on n’aime pas les piètres bonnes nouvelles, et encore moins quand elles sont servies réchauffées, voire re-réchauffées.