Services en santé inadéquats, appauvrissement et isolement. Tandis que le vieillissement de la société s’accélère, la Fédération des aînées et aînés francophones du Canada dresse le portrait des personnes âgées en milieu minoritaire en publiant ce 7 mars un rapport exploitant les données du recensement de 2016.
Lucas Pilleri (Francopresse)
Les 50 ans et plus sont de plus en plus nombreux. En fait, ils constituent plus de 40 % des francophones hors Québec. On retrouve une bonne partie de ces 480 000 personnes d’abord en Ontario, puis au Nouveau-Brunswick et dans les Prairies.
Le pourcentage d’aînés atteint même des niveaux record dans certaines provinces comme la Nouvelle-Écosse, la Saskatchewan et l’Île-du-Prince-Édouard où plus de 50 % des francophones ont plus de 50 ans. « Est-ce que la société va être en mesure de bien prendre soin de ces personnes-là? », interroge Luc Doucet, directeur général de l’Association francophone des aînés du Nouveau-Brunswick (AFANB).
Un vieillissement croissant
Depuis 2006, la proportion des aînés a fortement augmenté dans la majorité des provinces et territoires, surtout dans l’Est. Sans compter que la population francophone vieillit beaucoup plus que l’ensemble de la population canadienne. L’écart est parfois impressionnant : au Manitoba, l’âge médian des francophones est plus élevé de 17 ans que celui des anglophones.
En Alberta, la Fédération des aînés franco-albertains (FAFA) est aux premières loges de cette croissance : « La génération des baby-boomers compose une base assez large de notre population », observe la directrice générale Alizé Cook. En plus des pionniers franco-albertains, la communauté voit de plus en plus les parents des nouveaux arrivants s’installer avec le regroupement familial, qu’ils viennent de l’étranger ou d’autres provinces.
Contrairement au reste du pays, le ratio d’aînés reste faible en Alberta, qui a profité d’une « énorme vague de trentenaires et de quadragénaires venus pour le travail », souligne Alizé Cook. Malgré tout, la province n’échappera pas au scénario national : « C’est autant d’aînés futurs », présage-t-elle, lucide.
Des aînés vulnérables
Avant tout, le rapport pointe du doigt la vulnérabilité des seniors, « aux niveaux économique, éducatif, social et médical », énumère Jean-Luc Racine, directeur général de la Fédération des aînées et aînés francophones du Canada (FAAFC). Globalement, les données indiquent qu’ils sont « moins bien nantis que les anglophones », rejoint Luc Doucet.
En effet, les 65 ans et plus de langue française sont plus susceptibles de vivre seuls, disposent de 9000 dollars de revenus en moins en moyenne et sont beaucoup moins éduqués. Les femmes et les milieux ruraux sont encore plus touchés. « Beaucoup vivent en dessous du seuil de pauvreté », constate Luc Doucet, qui a été pendant des années président de La Maison Nazareth, un refuge pour sans-abris à Moncton.
En Colombie-Britannique, les coûts du logement fragilisent la situation économique des aînés, « malgré quelques points positifs, comme la gratuité de l’assurance maladie prévue pour 2020 et un service de traversiers en accès libre pour les 65 ans et plus depuis quelques années », précise Stéphane Lapierre, directeur général de l’Assemblée francophone des retraités et aînés de la Colombie-Britannique (AFRACB).
Une situation criante
« On juge une société sur la façon dont elle traite ses citoyens les plus démunis », rappelle Luc Doucet. Et le défi est grand. Alors que la population vieillit, les services de santé en français ne suivent pas. « On le voit malheureusement très bien avec les soins à domicile, témoigne Jean-Luc Racine. Il n’y a pas beaucoup d’attention accordée aux besoins des francophones. »
Souvent, les dernières années des francophones en milieu minoritaire se vivent en anglais, « une catastrophe », estime le directeur général de la FAAFC. « En vieillissant, on perd souvent notre langue seconde et on ne peut plus se faire comprendre », ajoute-t-il. Même constat pour Alizé Cook : « Les francophones se retrouvent perdus dans un système de santé à majorité anglophone. C’est un grand danger. »
Dans l’Est, Luc Doucet regrette cette situation, « alors qu’on pourrait devenir des leaders nord-américains dans le service de soins à domicile au lieu de construire des foyers de soins qui poussent actuellement comme des champignons ». Afin de rester le plus longtemps à la maison, un investissement s’impose selon lui pour accroître les services en français, parfaire les formations des aidants et augmenter les salaires du personnel soignant.
Enfin, la ruralité ajoute son lot de défis. « Avec l’exode rural, les aînés se retrouvent rapidement isolés dans une ville où plus personne ne parle français », alerte Alizé Cook en Alberta. Idem en Colombie-Britannique où les francophones sont dispersés sur le territoire : « Les services sont calculés en fonction du nombre. Avec l’éclatement des francophones, les pourcentages justifient rarement la présence de services en français », traduit Stéphane Lapierre.
Avec ce rapport, la FAAFC espère susciter une prise de conscience. Les gouvernements, mais aussi les communautés, prêteront-ils une oreille attentive au dossier?