Mariage entre conjoints de même sexe, parade de la fierté gaie, communauté LGBTQ comme force économique. Il y a 50 ans, la société canadienne n’en était pas là. La loi élaborée par Pierre Elliott Trudeau sera le début d’un temps nouveau. Retour sur une période mouvementée avec des témoignages poignants.
Par André MAGNY (Francopresse)
Sans être une baguette magique, la Loi omnibus mettait tout de même fin aux fameuses descentes policières dans les bars gais ou les saunas de Montréal ou de Toronto pour ce qu’on appelait à l’époque « les outrages aux bonnes mœurs ». Comment cela était-il vécu par les jeunes de l’époque?
Fondateur de FrancoQueer et Action positive VIH/sida à Toronto, Jean-Roch Boutin se rappelle. « En 1969, j’avais 17 ans, j’étais en profond questionnement sexuellement. Je savais que j’étais attiré par les gars, mais je ne voulais pas être homo à cause de la répression sociale et policière. Quand le gouvernement de Pierre Elliott Trudeau a introduit le Bill omnibus, je l’ai ressenti comme un soulagement. La loi n’empêchait pas la population de discriminer; mais la loi me protègerait au besoin. J’ai senti que je pouvais être moi-même. Cela m’a quand même pris beaucoup de temps pour accepter et m’affirmer comme gai. En fait j’ai fait mon comingout à 29 ans. »
De son côté, Louise Gauvreau, stratège en communication, se remémore un épisode familial illustrant fort bien le contexte de l’époque. « En 1967-1968, mon père est parti de Montréal en auto pour ramener à Brooklyn mon frère qui y étudiait le design. La seule chose que mon père a dite à mon frère pendant ce long trajet en voiture c’est : “Veux-tu voir un prêtre?” La société était brutale pour les gais. » C’était l’époque où les parents disaient à leurs enfants : « Qu’est-ce que les gens vont dire? »
L’écrivain franco-ontarien Paul-François Sylvestre, qui a écrit en 1979 Les homosexuels s’organisent au Québec et ailleurs aux Éditions Homeureux, précise qu’au moment de son adoption en 1969, loin de faire l’unanimité, la Loi omnibus concernait uniquement les personnes de 21 ans et plus. Il faudra attendre quelques années pour que la Loi englobe les 18-21 ans.
Femme lesbienne, gai francophone
La société d’alors était-elle plus difficile envers les hommes qu’envers les femmes? « J’ai l’impression, confie celle qui fut gestionnaire principale des langues officielles et de la traduction lors des Jeux Panaméricains à Toronto en 2015, que la société est davantage clémente à l’égard des femmes gaies, notamment en raison du fantasme de la relation entre deux femmes. »
Et quand on était gai et francophone? « La culture francophone catholique rendait la vie ouvertement gaie impossible, se rappelle M. Sylvestre. J’étais au courant par les médias des efforts de la communauté gaie ontarienne et américaine qui luttait et s’affichait dans les rues. Cela avait un impact positif, mais très lent, sur mon affirmation et la prise de conscience que c’était possible d’être gai quelque part. Mais je ne pouvais pas m’affirmer publiquement, je préférais vivre une double vie avec des aventures homo occasionnelles. Je ne pouvais pas envisager avoir une vie épanouie en étant homo. Je cherchais à devenir normal hétéro et à avoir une vie de famille. Ce n’était pas facile d’avoir une double vie. La culpabilité était suffocante et imprégnait toute expression de ma sexualité envers les hommes. »
Les combats en 2019
Jean-Roch Boutin et Paul-François Sylvestre s’entendent pour dire que la société canadienne doit être vigilante et accueillante à l’égard notamment des immigrants qui subissent des discriminations à cause de leur orientation sexuelle.
« L’émancipation doit se faire partout et dans toutes les cultures. Il y a encore beaucoup d’éducation à faire sur le respect des orientations sexuelles et des identités de genres », de préciser M. Boutin, qui est aussi le vice-président de la Fédération des ainés et des retraités francophones de l’Ontario.
Sans vouloir dévoiler tout le contenu de la conférence qu’il donnera le 25 septembre prochain à l’Alliance française de Toronto sur le thème De homophile à LGBT (1969-2019), Paul-François Sylvestre abordera justement toutes les avancées que la communauté gaie a connues depuis 50 ans, dont le mariage donnant ainsi un cadre juridique aux unions gaies.
Louise Gauvreau estime que les jeunes de 20 et 30 ans sont beaucoup plus ouverts. En guise de conseil à cette nouvelle génération, « je leur dirais que, même s’ils vivent de l’animosité, de vivre leur vie, de s’affirmer au risque d’être exclus parce que s’affirmer est crucial dans la vie. Ceux qui nous excluent ne comprennent pas et il ne sert à rien de s’y buter. Soyez heureux! Le cœur ne ment pas.»
Retrouvez notre édition spéciale manitobaine mercredi 15 mai dans La Liberté!