La Cour suprême du Canada a statué unanimement qu’un citoyen de la Colombie-Britannique avait droit à un procès en français, bien que l’infraction relevait du droit provincial. Une décision clairement saluée comme une victoire pour les minorités linguistiques.

Par Marie BRECKVENS

Il s’appelle Joseph Roy Éric Bessette. Son nom est dorénavant attaché au jugement rendu par la Cour suprême le 16 mai. La décision des juges est l’aboutissement de la procédure engagée en 2015 par M. Bessette, qui contestait de devoir subir son procès en anglais pour une infraction routière. Il voulait que son droit à pouvoir s’exprimer dans sa première langue, le français, soit respecté.

Me Jennifer Klinck du cabinet Juristes Power Law , son avocate, met en perspective la décision rendue par les juges suprêmes : « Dans la cause qui nous occupe, il y avait une question d’interprétation de la loi. En vertu du Code criminel qui relève du Fédéral, l’accusé a déjà le droit que son procès soit en anglais ou en français, c’est-à-dire dans la langue officielle de son choix.

« Mais en 2013, la Cour suprême du Canada avait aussi estimé que pour les procès purement civils en Colombie- Britannique, la langue était celle choisie par la Province, en l’occurrence l’anglais. M.Bessette était l’auteur d’une infraction routière en vertu d’une loi provinciale, c’est-à-dire que les poursuites sont régies par une loi provinciale. Or, lorsque la loi provinciale qui crée l’infraction reste muette sur un point quelconque, on a recours au Code criminel.

« Pour combler ce vide, on utilise donc les dispositions du Code criminel.

« C’est pour cette raison que M.Bessette pouvait argumenter que puisque les lois provinciales en question étaient silencieuses sur la langue du procès, on devait se référer au Code criminel et ainsi lui accorder le droit de choisir la langue officielle de son choix. »

La Cour suprême a accepté l’argument de M. Bessette. MeJennifer Klinck poursuit : « La Cour a décidé que l’intention du législateur provincial était de combler des vides avec le Code criminel et qu’on ne pouvait pas présumer que le législateur avait la volonté de ne pas accorder des droits linguistiques. »

Cette interprétation de la Cour suprême pourrait avoir des répercussions sur d’autres provinces qui fonctionnent avec des dispositions juridiques similaires : « À l’Île-du-Prince -Édouard, en Nouvelle-Écosse, à Terre-Neuve-et-Labrador, il existe aussi un vide juridique sur la question de la langue du procès. Leur législation renvoie également au Code criminel fédéral. Le même raisonnement s’appliquerait forcément à ces dispositions. La Cour d’appel de la NouvelleÉcosse est sur la même longueur d’onde juridique. Pour cette province, ce jugement est juste une confirmation. Pour l’Île-du-Prince-Edouard et la province de Terre- Neuve-et-Labrador, il suffirait juste de soulever cet argument dans un procès pour faire valoir son droit linguistique. »

Peut-on déduire qu’en ce moment, un mouvement en faveur des droits linguistiques est en train d’émerger? La réponse se trouve dans l’autre aspect de la décision rendue par la Cour suprême.

Me Jennifer Klinck : « Il y a également une question procédurale. M. Bessette avait déjà soulevé le point qu’il voulait un procès en français dès la première instance, c’est-à-dire devant la Cour provinciale de la Colombie- Britannique. Cette Cour avait rejeté sa demande. Avant d’aller plus loin, M. Bessette avait demandé une révision immédiate pour contester la décision. La Cour d’appel de la Colombie-Britannique et ensuite la Cour suprême de la Colombie-Britannique ont toutes les deux répondu : Vous devez d’abord subir votre procès en anglais. Ensuite, vous pourrez contester le jugement.

« La Cour suprême du Canada vient de dire que les deux Cours avaient tort, parce qu’un appel ne constitue pas une réparation adéquate, puisque le préjudice de se voir nier ses droits linguistiques est irréparable.C’est-à-dire que la Cour suprême a affirmé qu’étant donné le caractère fondamental des droits linguistiques, le déni d’un droit linguistique est un préjudice en soi. Et ce jugement s’applique partout au pays, même s’il s’agit d’une infraction provinciale. »

Me Jennifer Klinck estime que la réponse à cette question de procédure donnée par la Cour suprême du Canada est très importante. « Parce que c’est une réaffirmation claire et unanime de la Cour suprême du Canada du caractère fondamental des droits linguistiques. La Cour suprême l’avait déjà affirmé en 1999. Les droits linguistiques ne sont pas de simples droits procéduraux. Ce sont des droits qui ont une importance inhérente. Cette récente décision pourrait faire jurisprudence et servir d’arguments pour renforcer d’autres droits. »


Tout n’est pas acquis

Le droit d’être jugé en français en cas d ’ infraction provinciale en Colombie- Britannique est dorénavant un fait, mais ce n’est pas unacquis. Car la balle est maintenant dans le camp politique.

Me Jennifer Klinck explique : « Il serait possible pour l’Assemblée législative britannocolombienne d’adopter une loi qui nierait le droit qui vient tout juste d’être reconnu par la Cour suprême du Canada. Une loi provinciale pourrait effacer le droit d’avoir un procès en français. C’est clair qu’on espère que la Province ne le fera pas. »

Me Jennifer Klinck précise : « Les tribunaux sont déjà institutionnellement bilingues. Ils accordent déjà des poursuites en français en vertu du Code criminel. Il incombe à la Couronne et aux tribunaux d’ajuster leurs pratiques. »