Comme tout athlète de haut niveau, la plupart des danseurs ont une carrière courte. Marie-Gabrielle Ménard est passée par cette période de transition en 2015, non sans difficultés parfois. Elle s’est alors découvert une nouvelle passion : la radio. En 2016, son premier amour la rattrape et c’est une danseuse plus mature qui est retournée sur scène à La Biennale de Venise en juin, puis à Bruxelles et Toronto en août.
Par Mathilde ERRARD
Elle arrive à la terrasse d’un bar du centre-ville de Winnipeg, vêtue d’une longue robe ample, lunettes de soleil sur le nez. Avec un petit sourire, elle lance : « Je n’ai plus de jus de cerveau. J’étais en onde pendant deux heures. »
Cet été en effet, Marie- Gabrielle Ménard a remplacé Martine Bordeleau aux rênes de l’émission L’Actuel, sur Radio-Canada Manitoba. La trentenaire est reporter aux arts pour Radio- Canada à Winnipeg depuis juin 2018.
Mais son nom est aussi connu dans un tout autre domaine : la danse contemporaine. Elle a foulé les scènes dès l’âge de quatre ans dans un studio de quartier à Montréal, jusqu’à ses 34 ans environ. Depuis, la radio est devenue son métier et la danse, un souvenir.
D’ailleurs, quand la chorégraphe Katia-Marie Germain l’appelle en 2016, elle lui répond : « Non, je ne danse plus. » Marie-Gabrielle Ménard précise : « Je ressentais l’envie de danser, mais cela restait une utopie, comme un nuage gris qui planait au-dessus de moi. C’était un chapitre de ma vie qui était fini, plus possible. »
La chorégraphe est prête à l’engager, mais Marie-Gabrielle Ménard tient à faire des essais. «Je ne voulais pas qu’elle investisse sur moi pour rien. J’avais des doutes. J’avais peur de ne plus être à la hauteur. » La danse, c’est comme pour un athlète, il faut s’entraîner au quotidien et lorsque Katia-Marie m’a proposé ce rôle, cela faisait trois ans que je n’avais pas pratiqué. »
Les essais sont concluants pour la danseuse. Mais après une longue pause, il n’est pas si évident de reprendre confiance en soi et en son talent. « Chez les danseurs comme chez les athlètes de haut niveau, il existe cette idée que, quand tu ne fais plus, tu n’es plus. Pendant des années, un danseur se construit dans l’oeil des autres : les spectateurs, les journalistes ou encore les collègues. Après avoir mis un terme à ma carrière, je ne m’autorisais plus à me dire et à me considérer encore comme une danseuse parce que je ne pratiquais plus. »
Une psychologue de la performance, qui travaille avec des athlètes et des artistes, l’a épaulée dans cette phase, avec succès. « Une paix s’est opérée. La psychologue m’a fait comprendre que je resterai toujours une danseuse, au fond. Notamment parce que j’ai été formée et que j’ai fait carrière dans la danse. »
La danseuse précise qu’elle a anticipé la fin de sa carrière et a donc vécu une « transition douce» : « On ne m’a jamais dit : On ne veut plus de toi, tu es trop grosse ou trop vieille, donc mon départ n’a été synonyme ni d’amertume ni de douleur. Je sentais aussi que j’avais complété l’exploration de mon corps, je l’avais tellement travaillé. Ma transition avait été pensée bien avant ma dernière tournée. Et puis, de nouveaux défis m’attendaient. »
| Une certaine facilité
Petit à petit, en effet, la radio est apparue comme le second chapitre de sa vie professionnelle. « Les micros étaient déjà présents dans ma carrière de danseuse. Premièrement, les spectacles de danse contemporaine sont hybrides. Donc, plus que de la danse, il faut savoir faire du théâtre et chanter aussi parfois. Ces rôles qui demandaient des performances théâtrales m’étaient souvent attribués.
« Deuxièmement, on pensait souvent à moi pour la communication des spectacles. Donc j’ai dû réfléchir à comment parler de nos performances aux médias. Peut-être que les gens voyaient déjà chez moi une certaine facilité pour communiquer. »
Marie-Gabrielle Ménard sait effectivement bien manier l’art de la parole. Le temps d’une entrevue, on se laisse facilement emporter par ses mots bien choisis et sa manière très passionnée et énergique de se raconter.
D’abord invitée dans les studios de radio, elle est devenue chroniqueuse, puis responsable d’une émission hebdomadaire d’une heure pour CIBL, une radio basée à Montréal. « Rapidement, je me suis plu à faire parler les gens de leur passion, notamment parce que je viens moi aussi de ce monde d’artistes. Je me suis découvert une curiosité sans bornes. »
La reporter n’a suivi aucune formation, mais, souligne-t-elle convaincue, « CIBL a été mon école!» Faute de moyens financiers, CIBL a dû remercier ses journalistes en 2017.
Avant de se lancer dans le projet avec Katia-Marie Germain, l’artiste admet avoir ressenti une certaine nostalgie des studios de danse. « Dans ce métier, tu passes des heures à jouer avec ton corps et à créer avec tes collègues. C’est la non-monotonie qui est extraordinaire dans ce métier! Le studio constituait mon exutoire.
« Je souffre du manque de créativité dans notre société contemporaine. On est obsédé par nos résultats. Tout le monde possède ce véhicule qu’est le corps, pourtant, peu l’explorent. Mon métier m’a permis de le connaître par coeur. Il est mon ami. »
Marie-Gabrielle Ménard a renoué avec le travail en studio à l’occasion de sa collaboration avec Katia-Marie Germain. Avec son spectacle intitulé Habiter, la danseuse s’est rendue en juin à la Biennale de Venise, « the place to be de la danse contemporaine! » Au mois d’août, elle était aussi au festival Dance made in Canada/ fait au Canada, à Toronto et au Festival international Les Brigittines, à Bruxelles.
« Une carrière de danseuse n’est pas toute rose : il y a les blessures, les déceptions après plusieurs refus. Mais à ce moment-là, la danse m’a fait un cadeau. Katia-Marie a fait appel à mes talents d’interprète. C’est l’artiste qu’elle a appelée, pas uniquement la danseuse et ses performances physiques.
« Aujourd’hui, j’ai moins de doutes sur mon art que lorsque j’avais 19 ans, et pourtant j’étais plus performante physiquement. C’est comme si désormais, l’enveloppe comptait moins que le contenu. Et finalement, je me souhaite de continuer à danser. »