La semaine des bibliothèques publiques, qui débute le 19 octobre, va se dérouler dans un contexte particulier. Alors que les gouvernements de l’Ontario et du Nouveau-Brunswick viennent de réaliser des coupes dans le budget de ces structures, le milieu des bibliothécaires se dit « ébranlé ». Les jours de ces lieux de culture bilingues (anglophone/francophone) seraient-ils comptés?
Par Agathe BEAUDOUIN (Francopresse)
« Je vous assure : c’est un véritable défi de faire fonctionner une bibliothèque bilingue », déclare France Séguin-Couture, directrice générale des bibliothèques publiques du canton de Russell en Ontario. Enthousiaste et passionnée, cette bibliothécaire qui gère deux succursales, l’une en milieu urbain, l’autre dans un secteur plus rural, se démène pour mener sa mission à bien : proposer des services et activités de qualité en français comme en anglais.
Alors, lorsque le gouvernement ontarien de Doug Ford a annoncé au printemps une réduction drastique des budgets pour les bibliothèques publiques de sa province, « nous avons tous été un peu ébranlés », dit-elle au nom de l’Association des bibliothèques de l’Ontario-Franco (Abo Franco). Ses collègues ne la contrediront pas, car les effets se font déjà sentir. Les services des bibliothèques de l’Ontario-Sud et des bibliothèques de l’Ontario-Nord ont ainsi vu se réduire de 50 % le montant qui leur était alloué par la province. Des personnes ont perdu leurs emplois (24 pour le seul organisme Ontario Sud) et des services, tels que le prêt de livres entre établissements, ont tout simplement disparu.
Pas qu’en Ontario
L’exemple de l’Ontario n’est pas un cas à part. Au Nouveau-Brunswick, le député libéral de Restigouche, Gilles Lepage, rapporte une réduction de budget de 400 000 $ pour les bibliothèques cette année. Une décision du gouvernement conservateur de Blaine Higgs. « Il y a des coupes sur le budget et une consultation publique a été discrètement lancée sur l’avenir des bibliothèques. Ce qui nous inquiète, ce sont les réductions de personnel ou d’horaires qui pourraient s’ensuivre. Tout cela risque de faire augmenter la responsabilité des communautés. »
En Alberta aussi, le gouvernement laisse planer des incertitudes sur le budget alloué aux bibliothèques, tant et si bien que les administrateurs peinent à programmer leurs activités pour 2020. « Nous sommes une source de savoir. Ces services devraient être épargnés par les coupes budgétaires », avait déclaré Gloria McGowan, gestionnaire d’une bibliothèque à Nanton, sur les ondes de Radio-Canada.
Toutes ces menaces inquiètent France Séguin-Couture sur le long terme : « On ne sait pas comment vont se répartir tous les frais de fonctionnement dans le futur : est-ce que les baisses de budgets vont se poursuivre? Est-ce que cela va retomber sur les villes? Est-ce la communauté qui va les prendre en charge? Et si oui, à quelle hauteur? »
Des coupes d’ordre communautaire
Au Manitoba, à Winnipeg, la bibliothèque compte 20 succursales. Toutes proposent « des services dans les deux langues officielles », explique-t-on à la mairie. L’antenne de Saint-Boniface possède la collection de documents en français la plus vaste de la zone, et accueille en moyenne 50 000 usagers chaque année. Ici, tout le personnel est bilingue. Et la volonté de maintenir des efforts pour conserver une offre dans les deux langues « n’est pas remise en question ».
Pour combien de temps encore? Les réductions de budgets dans les grosses provinces auront-elles un effet boule de neige et annoncent-elles le début de la fin des bibliothèques publiques bilingues? En Ontario comme au Nouveau-Brunswick, personne n’ose l’imaginer. « Chez nous, c’est impensable, s’exclame Gilles Lepage! La population ne l’accepterait pas, car ce sont des lieux de culture, mais aussi de socialisation, qui jouent un rôle dans l’intégration des nouveaux arrivants. Par exemple, ils viennent rédiger leur CV, se connecter, chercher un emploi. C’est un acteur du développement économique. »
Dans les rayons de la bibliothèque de Russell, France Séguin-Couture partage la même conviction : « On travaille vraiment fort pour nos bibliothèques. Nous sommes une grande communauté et la bibliothèque est une nécessité. Nous avons un personnel bilingue qualifié. Notre staff a maintenant plus de travail, car nous voulons maintenir nos multiples services », énumère-t-elle alors qu’elle s’apprête à accueillir, pour la semaine des bibliothèques, quatre auteures : deux francophones et deux anglophones.
La semaine des bibliothèques se déroule du 19 au 26 octobre.