Plus de 9500 bambins francophones sont actuellement sur liste d’attente pour une place en garderie. Ces chiffres, révélés par le Réseau de développement économique et d’employabilité, s’accompagnent d’un autre fait marquant : il manque 2500 personnes francophones qualifiées pour combler les besoins, tout comme le nombre d’infrastructures se révèle bien insuffisant, laissant planer un véritable risque d’assimilation chez les plus jeunes.
Par Agathe BEAUDOUIN (Francopresse)
Le constat est sans appel : il est de plus en plus difficile pour les familles d’obtenir une place en structure d’accueil francophone pour leurs jeunes enfants. Les chiffres, dévoilés mi-octobre, ont secoué l’ensemble de la filière de la petite enfance. À l’exception du Québec, la situation serait alarmante dans les communautés francophones et acadiennes de chaque province et territoire. À titre d’exemple : au Manitoba, 1156 foyers attendent une place dans une infrastructure francophone. Ils sont 115 en Saskatchewan ou encore presque de 200 en Colombie-Britannique, où tous les établissements affichent complets.
À Terre-Neuve-et-Labrador, la directrice du Centre de la petite enfance et famille Les p’tits cerfs-volants, un lieu de 45 places, constate : « Cela pose un vrai problème. Nous sommes continuellement au maximum de nos capacités, et il y a en permanence une liste d’attente. À l’inscription, les familles remplissent un formulaire et sont contactées en fonction des places qui se libèrent. »
À la tête de la Commission nationale des parents francophones, Jean-Luc Racine parle « de listes d’attente à n’en plus finir ». « À Charleston, il y a 150 bambins en attente pour une garderie de 6 places! » Pire, dit-il : « Les familles inscrivent des enfants avant même qu’ils ne soient nés… Où choisissent une structure anglophone. Voilà le vrai danger. »
Un risque d’assimilation
Le risque est bien réel, comme le démontre la chercheuse Susan Prentice (Université du Manitoba) qui parle de l’importance du « nid linguistique » : « C’est ce qui valorise la langue d’une communauté et qui facilite l’épanouissement d’une culture, il permet la construction identitaire et développe le sentiment d’appartenance à une communauté. »
Dans ses bureaux d’Ottawa, Jean-Guy Bigeau, président-directeur général du Réseau de développement économique et d’employabilité (RDÉE) du Canada, a bien conscience de la situation : « Les résultats sont très clairs. Il y a une pénurie généralisée par manque d’infrastructures et par manque de personnel. Si nous n’agissons pas rapidement, les enfants ne fréquenteront plus que des garderies anglophones! Il y a un risque d’assimilation de la jeune génération. Il faut s’empresser de mettre une stratégie en place, si l’on veut assurer la pérennité de la langue française. »
Mais alors que faire? Depuis 2016, le RDÉE Canada et la Commission nationale des parents francophones travaillent ensemble au sein de l’Entente de partenariat stratégique en Petite Enfance. Ils ont été rejoints par l’Association des collèges et universités de la francophonie canadienne afin de réfléchir à des solutions pour attirer les jeunes vers cette voie professionnelle. « Mais très souvent, les structures anglophones proposent de meilleurs salaires… Ce sera l’une des priorités : agir sur les salaires des employés. Il va falloir accélérer nos actions. Il y a un vrai défi pour recruter de la main d’œuvre qualifiée », admet Jean-Guy Bigeau qui veut aussi aider les projets d’ouverture de service de garde : « Tout groupe de famille qui voudrait mettre en place un service de garde, nous allons l’accompagner et l’encourager. »
Une enveloppe de 20 M$, versée par le gouvernement fédéral, doit permettre de financer tous ces efforts. Sera-t-elle suffisante? « C’est tout l’enjeu! affirme Jean-Luc Racine. Il va falloir être plus créatif et plus entrepreneur, favoriser la création d’organismes à but non lucratif, mais aussi les entreprises privées. Il faut réfléchir à de nouvelles façons de voir les choses, par exemple réduire les couts administratifs des services de garde, proposer des outils pour la faisabilité financière de nouvelles structures. »
L’Entente de partenariat stratégique en Petite Enfance se fixe cinq ans pour inverser la tendance. En attendant, bien des familles restent sans solution, comme cette jeune femme, Anne-Marie Saint-Pierre, habitante de Millcove (Î.-P.-É.), qui dépose sa fille de trois ans chaque jour chez sa belle-mère. « La seule option était d’inscrire notre enfant dans un CPE anglophone », explique la maman, ardente défenseure de la langue française, mais qui regrette néanmoins cette situation : « J’aimerais que mon enfant découvre la vie en groupe et soit entourée de personnel qualifié pour favoriser son épanouissement. Et ce n’est pas non plus idéal pour ma belle-mère, mais en attendant, avons-nous d’autres options? »