Le journaliste et observateur de la francophonie au Canada et dans le monde, Réjean Paulin, est décédé le dimanche 2 février. M. Paulin avait signé plus de cent chroniques chez Francopresse depuis 2015.
Francopresse
Afin de rendre hommage à un fidèle collaborateur, Francopresse présente des extraits des chroniques publiées depuis aout 2015.
Un pilier du journalisme
Paulin a vécu en Acadie, au Québec, en Ontario, dans l’Ouest canadien et en France. Il a été journaliste pour Radio-Canada en Saskatchewan et en Atlantique avant de devenir journaliste indépendant sur la Colline du Parlement à Ottawa. Il a aussi été collaborateur à Radio-Canada International, à Radio Vatican et à la Radio suisse romande avant de se consacrer à l’enseignement du journalisme au collège La Cité à Ottawa à partir de 2001.
« Réjean, fier Acadien et fervent défenseur de la francophonie canadienne, a été un pilier de la presse francophone en situation minoritaire pendant de nombreuses années », déclare Francis Sonier, président de l’Association de la presse francophone, qui chapeaute Francopresse. « Par sa passion pour le métier de journaliste […], il a laissé sa marque auprès de plusieurs générations de jeunes journalistes qui œuvrent toujours dans notre réseau », ajoute-t-il.
L’amour des grands espaces et des accents
La coordonnatrice de Francopresse, Andréanne Joly, souligne l’amour des grands espaces et de la francophonie que nourrissait M. Paulin, dans son quotidien comme dans ses écrits. « Éternel optimiste, ses chroniques étaient toujours empreintes d’un attachement réel à ces communautés qui se sont battues pour continuer d’exister et qui font toujours raisonner la langue et les accents de Daniel Lavoie, de Robert Paquette et de Viola Léger. »
En novembre dernier, il évoquait la beauté des français de la francophonie canadienne :
« Faut-il toujours parler lexique en poche? Répondre oui à cette question priverait la langue française de tous ses accents et de ses couleurs locales. Impensable et inconcevable. »
24 aout 2015, sa première chronique chez Francopresse
« Les jours coulent comme un fleuve qui, inlassablement, s’étire vers la mer. Certains diront qu’il traine les francophones en son lit pour les abandonner à l’usure du temps. D’autres soutiennent plutôt qu’il s’agit d’une belle eau vive porteuse d’avenir parce que nourrie d’idéaux et d’espoir. Comment trancher? Pas facile. Il doit bien se trouver quelque part entre les prophètes de malheur et les optimistes à tout crin, une sorte de vérité sans absolu, faite d’un peu de tout : gout de vivre, échecs et réussites.
« Très loin des ramasseurs de chiffres qui nous martèlent le cerveau à coup de statistiques déprimantes, tous aussi distants des augures politiques qui chacun de leur côté prédisent soit la fin ou le commencement, il y a eu d’abord ces descendants de Français et de Québécois. La famille s’est élargie et continue de le faire. Des Haïtiens, Africains, Européens et autres néocanadiens en font désormais partie.
« Ils rament souvent à contrecourant pour vivre et transmettre leurs traditions, leur langue et leur culture. Certains y parviennent, d’autres abandonnent.
3 novembre 2016, à la suite du décès du Franco-Ontarien Paul Demers :
« Notre place, on l’a conquise souvent contre les vicissitudes de l’histoire, on s’y est tantôt accrochés avec l’énergie du désespoir, on l’a défendue puis on l’a chantée avec les mots des poètes, surtout ceux de Paul Demers. Hélas, il a quitté ce lieu collectif pour le dernier voyage, emporté trop jeune par une maladie sans pardon. […]
« Elle est grande la toile francophone. On peut l’entendre claquer sous tous les vents qui soufflent sous nos latitudes. En fait, aucun pays au monde ne peut prétendre avoir semé le français sur pareille étendue, des forêts riches en feuillus luxuriants jusqu’à Inuvik où on chatouille le cercle polaire… Les vagues du Pacifique ne lui sont pas étrangères, pas plus que les brumes de Terre-Neuve. »
10 mars 2017, à l’occasion du Mois de la Francophonie
« Ces jours-ci, j’écoute à répétition Petitcodiac de Zachary Richard au volant de ma voiture… Le CD est coincé dans le lecteur… Panne opportune et providentielle, puisque c’est dans ce passage que j’ai puisé cette chronique.
« Crazy Horse, Beausoleil, Louis Riel, Jacky Vautour… Tous ces noms évoquent un combat… Il ne sera jamais fini… On peut toutefois le civiliser, ce combat, pour en faire autre chose qu’une chicane… Il faut s’en rappeler, le Canada est né d’une guerre entre deux grandes nations. La paix lui a succédé, heureusement.
« Il reste encore à en supprimer les échos. Ce serait la mission des aventuriers de la francophonie du 21e siècle. »
27 avril 2017, Ces idées venues du froid :
« Ce serait formidable tout autant que peut l’être un rêve… Voir la langue française danser avec l’élégance et la grandeur des aurores boréales. Mais un rêve reste un rêve.
20 novembre 2017, à propos du 50e anniversaire des États généraux du Canada français :
« Au demi-siècle qui vient de s’écouler, je propose cette conclusion. C’est en défendant son caractère propre et en s’ouvrant sur l’étranger que la langue française va survivre sur ce territoire.
« La cause commune ne réside pas dans l’appellation de Canadien-français, mais dans l’affirmation communautaire d’abord, puis ensuite dans un mouvement universel, celui de parler français contre vents et marées. »
14 février 2018
« S’il est vrai que les rêves ne se réalisent jamais tout à fait, il est tout aussi vrai qu’ils conduisent vers quelque chose de mieux quand on ne les lâche pas. Le rêve doit mener plus loin qu’à un seul idéal. Il doit produire du concret, du solide, du tangible. »
7 mai 2018, sur sa rencontre avec Gabriel Kuaté, «Acadien noir de la région de Saint-Quentin-Kedgwick » :
« À bas les préjugés sur le manque d’ouverture ont sont souvent accusés les communautés dites isolées ou éloignées. Les Kuaté sont à même de témoigner d’une belle et généreuse ouverture. Pourtant, ils en ont ‘arraché’ comme on le dit familièrement, mais pas à Kedgwick. Plutôt dans les bureaux de l’immigration. »
28 octobre 2018, sur les mots de Denise Bombardier
« Dans ce pays, j’ai vu le soleil se lever sur l’Atlantique et se coucher sur le Pacifique. Je l’ai vu aussi se trainer en longueur sous les latitudes des Territoires du Nord-Ouest. Aube et crépuscule durent longtemps sous les aurores boréales et finissent par se confondre en automne. Du français? J’en ai vu et entendu partout, pas comme au Québec, bien sûr, mais il était bien vivant.
« Rien n’est acquis. Jour après jour, il faut lutter pour survivre, grandir et s’épanouir. La ténacité y est une règle de vie. […]
« Il faut par contre reconnaitre que l’attachement à leur culture et leur ardeur à la protéger n’appartiennent qu’à eux. Ils méritent un juste constat, celui d’une société tenace toujours décidée à franchir les siècles. À peu près disparus? Pas vraiment.
12 novembre 2018
« J’étais en poste à CBKF, la radio de Radio-Canada en Saskatchewan. Des journaux lancés sans trop de manières trainaient sur une table : Globe and Mail, Star Phoenix, Leader Post. Les titres s’étalaient en anglais… Et puis tout à coup, je tombe sur un mot français qui dépassait : « vive ». Je sors le journal de l’empilade. Il avait beau être plus modeste que les autres en taille, il était le plus significatif de tous. Je venais de découvrir L’Eau vive.
« L’ouvrir, c’était voir les mots de ma culture fleurir dans l’immensité des plus grandes plaines et sous le plus grand ciel qu’il m’avait été donné de voir.
Tout en français, loin du Québec. Du concret. »
29 janvier 2019
Après les manifestations provoquées par les propos de Denise Bombardier sur la vitalité des communautés de langue française en milieu minoritaire et les coupes du gouvernement Ford de l’Ontario :
« Il me semble qu’il y a longtemps que l’on a vu pareil élan au sein de la francophonie canadienne. Né d’une provocation, ce mouvement de solidarité lance à la face du monde que notre francophonie est bien vivante, n’en déplaise à ceux et celles qui ont parfois tendance à jouer les fossoyeurs. […]
« La statistique de trois pour cent [que Doug Ford] emploie pour donner la mesure de ses électeurs franco-ontariens compte en fait un demi-million de personnes. On sait aujourd’hui, en ce demi-siècle de la Loi sur les langues officielles, qu’un autre demi-million peuple le reste du Canada, en prolongement des sept millions de Québécois. Cela fait bien du monde qui ne se laissera pas marcher sur les pieds. »
16 juillet 2019, Chronique d’été
« Les mots ont l’avantage de pouvoir décrire en quelques secondes ce que nous aurions sous les yeux en faisant défiler du paysage pendant des semaines.
« On contemplerait des plaines qui n’ont d’autres limites que l’horizon, sous un ciel aux dimensions cosmiques puis on s’enfoncerait dans la forêt boréale jusqu’à la toundra pour ensuite poser le pied sur le pergélisol. On admirerait des montagnes aux crêtes toujours enneigées sous les chaleurs de juillet, puis on s’endormirait, fatigué, à la lueur ambrée d’un soleil qui déclinerait lentement en se glissant derrière l’horizon du Pacifique.
« Bref, ce serait tout un voyage… J’en ai entré les coordonnées sur mon GPS pour m’amuser, d’est en ouest et du nord au sud… Bien au-delà de 10 000 km, sans compter le retour.
« En définitive, le projet est trop ambitieux. Elles en ont fait du chemin, ces familles francophones. Leur parcours est indélébile. Ni le temps ni l’intolérance ne l’ont effacé. »
13 aout 2019, sur la cause scolaire en Colombie-Britannique :
« Il y a loin de l’Atlantique au Pacifique; plus de quatre fuseaux horaires et des milliers de kilomètres. Il s’est écoulé plus de quatre siècles d’histoire depuis le jour où Champlain a jeté l’ancre à l’embouchure du fleuve Saint-Jean. C’est dans ces proportions qu’il faut mesurer la présence française sur notre continent de même que la lutte que mènent les Franco-Colombiens. La résistance qui s’organise entre nos océans a la même envergure. »
9 septembre 2019, à propos de l’incertitude de l’avenir du journal Le Droit :
« J’étais en poste à CBKF, la radio de Radio-Canada en Saskatchewan. Des journaux lancés sans trop de manières trainaient sur une table : Globe and Mail, Star Phoenix, Leader Post. Les titres s’étalaient en anglais… Et puis tout à coup, j’ai aperçu un mot français qui dépassait : ‘vive’. Je sors le journal de l’empilade. Il était le plus modeste de tous en taille. À mes yeux toutefois, il était le plus grand. Je venais de découvrir L’Eau vive.
« L’ouvrir, c’était comme entendre les échos de la langue française venus de l’immensité des vastes plaines de l’Ouest canadien sous le plus grand ciel qu’il m’avait été donné de voir. En même temps, ces pages me donnaient la certitude que des Fransaskois vivaient dans ce vaste univers et qu’il partageait ma culture et ma langue. »
5 novembre 2019, sur le documentaire de Denise Bombardier, Denise au pays des Francos
« ’Votre langue n’est pas la mienne’, dit Denise Bombardier à l’intention des francophones minoritaires. Or, des années passées en France, au Québec, en Acadie, en Saskatchewan et en Ontario m’ont fait entendre bien des sons français qui ne sont pas les siens, ni les miens, ni les vôtres probablement. Mais ils sont nôtres. C’est ce qui compte. Et bien sûr, dans toutes ses ‘parlures’, on entend des fautes. »
« Faut-il toujours parler lexique en poche? Répondre oui à cette question priverait la langue française de tous ses accents et de ses couleurs locales. Impensable et inconcevable. »
19 novembre 2019, après la sortie de Denise au pays des francos
« La francophonie déborde des frontières québécoises en grande partie parce que d’anciens Québécois sont devenus Acadiens, Franco-Ontariens, Fransaskois ou autres. On compte 12 communautés minoritaires au pays, qui ont des racines dans la vallée du Saint-Laurent. […]
« Bien sûr, des soldats tombent au combat, mais les effectifs continuent de croitre. Les descendants de souche française fondent des familles tandis que des Néo-Canadiens francophones de toutes origines se joignent à eux.