Aucun vaccin pour la COVID-19 n’a encore été homologué au Canada. Cependant, avec plus d’une centaine de vaccins en développement à travers le monde — dont une demi-douzaine au Canada — cela ne saurait tarder. Les autorités de santé publique feront alors face à d’importants défis logistiques, sans parler des questions éthiques que soulèvera l’accès au vaccin.
Par Bruno COURNOYER PAQUIN — Francopresse
Même si la responsabilité de « planifier et de mettre en œuvre les programmes de vaccination [contre la] COVID-19 » relève des provinces, le gouvernement fédéral devra collaborer pour que les campagnes de vaccination atteignent certains objectifs, selon Geoffroy Legault-Thivierge, agent de relation avec les médias pour Santé Canada et l’Agence de santé publique du Canada.
En ce qui concerne la distribution des vaccins, le gouvernement fédéral voudra « allouer, distribuer et administrer les vaccins de la manière la plus efficace, la plus équitable et la plus efficiente possible », tout en surveillant « l’innocuité et l’efficacité du ou des vaccins COVID-19 », ajoute-t-il.
Si jamais l’offre initiale de vaccins est limitée, « des directives sur l’utilisation d’un vaccin contre la pandémie […] seront fournies par le Comité consultatif national de l’immunisation du Canada (CCNI), un organisme consultatif d’experts externes qui conseille l’Agence de la santé publique du Canada (ASPC) sur l’utilisation optimale des vaccins au Canada », explique par courriel Geoffroy Legault-Thivierge.
Une capacité de production limitée
Un premier défi sera lié à la production des vaccins, selon David Wishart, professeur de sciences biologiques à l’Université de l’Alberta.
Il souligne que pour les petites firmes pharmaceutiques et les laboratoires gouvernementaux, une production à grande échelle représente de 30 000 à 50 000 doses, ou ce qui est requis pour un essai clinique de phase 3.
Or, plusieurs d’entre elles ne disposent pas d’installation qui pourraient prendre de l’expansion pour produire les millions de doses nécessaire à vacciner l’ensemble de la population Canadienne, explique le professeur Wishart.
Les grandes compagnies pharmaceutiques pourraient probablement augmenter leur capacité pour produire des millions de doses, mais elles devraient combiner la capacité de plusieurs installations situées dans différents pays — et la capacité des installations situées au Canada est plutôt limitée, précise David Wishart.
Selon le professeur, certaines projections estiment que l’industrie ne parviendra pas à produire suffisamment de doses pour l’ensemble de la population mondiale avant 2024.
Cependant, ajoute-t-il, « des nations plus riches comme le Canada, qui ont passé des précommandes et qui ont une petite population », devraient réussir à vacciner leur population beaucoup plus tôt.
« Mais pour des places comme l’Inde, ou d’autres parties du monde en développement avec de très grandes populations, l’infrastructure n’existe même pas. Je soupçonne que ce sera un défi même pour les États-Unis, considérant l’échelle à laquelle ils doivent travailler eux aussi. »
Qui vacciner en premier?
Dans l’ordre, David Wishart suggère d’abord la vaccination des travailleurs de première ligne, suivis des personnes âgées et des personnes ayant des conditions de santé sous-jacentes, pour terminer avec les personnes d’âge mûr et les personnes dans des conditions socioéconomiques difficiles.
« La priorité la plus basse serait les personnes âgées de moins de 30 ans », évalue David Wishart.
Les personnes dans cette catégorie d’âge, poursuit-il, « font face à des risques extrêmement faibles. Je crois qu’il n’y a eu qu’un ou deux morts dans cette catégorie d’âge au Canada, et c’étaient des personnes avec des conditions de santé sous-jacentes. »
Selon Santé Canada, jusqu’à présent, deux personnes âgées de moins de 20 ans et neuf personnes âgées de moins de 30 ans sont décédées de la COVID-19 au Canada. Cela représente 0,1 % des décès. Les personnes âgées de plus de 70 ans comptent pour 89,5 % des décès attribués au nouveau coronavirus.
La professeure Vardit Ravitsky, de l’École de santé publique de l’Université de Montréal, ajoute : « Il y a presque consensus qu’il faudrait prioriser les professionnels de la santé. La question devient “qui est-ce qui compte?” ; est-ce seulement les médecins et les infirmières? Est-ce que c’est tout le personnel hospitalier? Sur quelle base est-ce qu’on définit un professionnel de la santé? Et pourquoi prioriser ce personnel-là et pas les autres travailleurs de première ligne? »
Prioriser les professionnels de la santé ne relève pas que du pragmatisme, mais aussi de principes éthiques, défend-elle.
« D’abord, ils sont exposés à un risque plus élevé d’attraper le virus. C’est impossible de garder une distance sociale si on s’occupe vraiment des malades. Et deuxièmement, il y a un principe de réciprocité […] il faut reconnaitre le sacrifice en permettant un accès prioritaire au vaccin », soutient la professeure Ravitsky
La question des personnes vulnérables est aussi plus complexe qu’on peut le penser, poursuit-elle : « La COVID-19 nous a montré […] qu’il y a un lien étroit entre le niveau socioéconomique, le niveau de vie, les populations marginalisées et le fait de se présenter déjà avec des problèmes de santé préalable [donc des conditions de risques plus élevés]. »
Cela soulève des questions pour la distribution du vaccin d’après Vardit Ravitsky.
« Est-ce que cette évaluation va être sur la base du cas par cas, c’est-à-dire des personnes déjà diagnostiquées avec des conditions préalables, ou est-ce que c’est un principe qui va s’appliquer à toute une sous-population, sur la base d’une marginalisation de cette population? »
Bref, est-ce qu’on adopte une approche individuelle ou populationnelle?
La professeure Ravitsky souligne aussi que la logistique de la distribution des vaccins pourrait laisser pour compte les populations éloignées, que ce soit les populations autochtones au Nord ou les gens qui résident hors des grands centres urbains.
« Si on cherche à vacciner le plus grand nombre au plus vite, ça peut aller à l’encontre de l’idée d’arriver aux populations marginalisées », conclut-elle.
Taux de vaccination et capacité de réfrigération
Au Canada, pour le vaccin antigrippal, on distribue dix à quinze millions de doses au cours de l’année, « mais pour la COVID-19, selon David Wishart, on aurait besoin de distribuer près de 75 millions de doses, et ça devrait être fait sur une plus courte période, idéalement. »
Avec un vaccin efficace dans au moins 50 % des cas, il serait possible « d’atteindre une immunité collective qui serait suffisante pour éteindre le virus, selon David Wishart, mais [pour l’atteindre] il sera impératif qu’on obtienne un taux de vaccination d’au moins 80 % à 90 % ».
« Un autre problème logistique important est lié à la chaine du froid. La plupart des vaccins doivent soit être conservés congelés ou réfrigérés […] Avec le vaccin antigrippal, la réfrigération suffit, mais avec le vaccin contre la COVID-19, on ne le sait pas encore », explique-t-il.
Selon David Wishart, « nous n’avons pas la capacité pour la logistique d’une chaine de froid qui requiert la congélation. Et dans certains cas [les vaccins] devraient être congelés à ultrabasse température, soit -80∞C quoique ce soit très rare. Mais ça voudrait dire des besoins pour des millions de pieds cubes d’espace de congélation, ou même de congélation à ultrabasse température » que nous n’avons pas encore.
S’il est possible d’aller combler une partie de ces besoins en ayant recours à des congélateurs commerciaux, poursuit David Wishart, « pour les utiliser dans la distribution de vaccins, ils doivent être certifiés “Bonne pratique de fabrication”. Certains d’entre eux ne le seraient pas. Une option serait d’assouplir les règles entourant l’entreposage [des vaccins] » afin de pouvoir employer certains congélateurs commerciaux dans la campagne de vaccination.