FRANCOPRESSE – Le resserrement des mesures sanitaires en raison de la montée du variant Omicron soulève de nombreuses inquiétudes chez les chercheurs qui s’intéressent à la santé mentale des jeunes. L’idée de retrouver le monde extérieur et de retourner aux habitudes sociales d’avant sera peut-être attrayante pour certains, mais angoissante pour d’autres.
Marianne Dépelteau – Francopresse
Le professeur de psychologie à l’Université de Toronto Scarborough Gerald Cupchik s’est intéressé aux effets du confinement sur la santé mentale des jeunes. Dès la première vague de la pandémie, en 2020, il a examiné la réaction des étudiants face à la pandémie dans leur vie personnelle.
Après avoir interrogé 859 étudiants* sur leur adaptation à la pandémie, il en conclut que les étudiants peuvent prendre des mesures préventives pour protéger leur santé mentale.
Le professeur Cupchik divise les personnes interrogées en deux groupes simples : les étudiants résilients et les étudiants à risque. Selon lui, les étudiants résilients « étaient beaucoup mieux encadrés, que ce soit par la famille ou les amis, et ne se sentaient pas menacés par la pandémie. Ils étaient aussi de nature résiliente avant la pandémie ».
Les étudiants « à risque » sont ceux qui ont eu du mal à gérer la réalité imposée par la COVID-19, dont l’isolement, et qui ne profitaient pas d’un bon système encadrement social ou familial.
Anne Marie Bureau est médecin de famille et directrice clinique au Centre de pédiatrie sociale de Gatineau, et travaille en CLSC auprès d’adolescents et d’adultes. Elle observe dans sa pratique des jeunes qui s’épanouissent dans le confinement et qui s’inquiètent du « retour à la normale ».
Elle cite en exemple des membres d’une même famille avec lesquels elle travaille, qui perçoivent la réalité du confinement de manière opposée.
« Le frère est souffrant d’être confiné, il hâte de jouer avec ses amis et de retrouver son sport […] alors que pour sa sœur, qui est beaucoup plus artistique, qui est une grande lectrice et qui est un peu anxieuse… c’était le bonheur! Pour elle, faire un téléphone de temps en temps avec une amie c’était amplement suffisant. Il y a tout un spectre d’effets qu’on commence à voir. Ce qui m’attriste, c’est que ce sont des effets qui durent », précise-t-elle.
Une hausse de l’anxiété en vue?
Keith Dobson, professeur de psychologie clinique à l’Université de Calgary, mène aussi des études sur la santé mentale des étudiants pendant la pandémie. Selon lui, la personnalité de l’individu joue un grand rôle dans la façon de réagir et de gérer le confinement.
« Les introvertis tendent à être moins actifs socialement de toute façon. […] Les gens plus extravertis préfèrent le contact social et se sentent mieux ainsi. Les introvertis n’auraient donc pas trouvé le confinement trop stressant et les extravertis l’auraient trouvé bien plus difficile », suggère-t-il.
Le professeur Dobson ajoute qu’il n’y a pas encore suffisamment de données sur l’effet du déconfinement sur la santé mentale des jeunes, mais qu’on parle actuellement « d’une possibilité d’augmentation de l’anxiété quand nous retournerons à la normale, peu importe ce que cela veut dire ».
Il identifie deux types d’anxiété, soit l’anxiété sociale et l’anxiété à l’égard de la santé. « Ce qu’on risque de voir maintenant, c’est une augmentation de l’anxiété sociale chez les introvertis […] Le second type d’anxiété, qui est lié à l’idée d’attraper la COVID-19, risque alors d’augmenter à son tour. Les deux sont liés au contact social. »
Anne-Marie Bureau abonde dans le même sens : « C’est sûr que si tu as une anxiété sociale et que je te mets en confinement, je t’enlève ton exposition, alors ton anxiété diminue. Quand tu vas te réexposer, ton anxiété va être encore plus grande qu’elle l’était la fois d’avant. C’est pour ça que le traitement de l’anxiété, c’est de s’exposer. »
Elle précise que « ces jeunes qui allaient bien en confinement, il y en a qui ne vont vraiment pas très bien au retour à l’école, où l’anxiété est augmentée ».
Tracy Vaillancourt est titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur la santé mentale des enfants et la prévention de la violence à l’Université d’Ottawa. Elle prévoit également des vagues importantes d’anxiété au fur et à mesure que des mesures de déconfinement seront appliquées.
« La pandémie a éliminé des facteurs de stress, et là ils seront réintroduits, ce qui mènera probablement à du stress et à de l’anxiété », indique la chercheuse.
Elle ajoute que «la pandémie a mis en lumière le fait que le monde n’est pas construit pour que tout le monde réussisse. Il y a des sous-groupes (par exemple les gens ayant de l’anxiété sociale et les introvertis) qui ont mieux géré la pandémie. Malheureusement, le monde fournit beaucoup de facteurs de stress comme de conduire pour se rendre au travail ou aller au bureau. La pandémie en a éliminé temporairement, alors c’est un enjeu d’équilibre ; quand on a plein de mécanismes d’adaptation et peu d’agents stressants, la vie est belle. Par contre, quand l’inverse se produit, on tend à voir des problèmes de santé mentale et du stress ».
Chez les plus petits aussi
Les effets du déconfinement se feront sentir tout autant chez les enfants qui fréquentent les écoles élémentaires. « Ce sont des jeunes qui, parce qu’ils étaient dans des milieux favorisés, confinés dans des endroits fort agréables, et très bien supportés par leurs parents, ont bien performé. […] Ils ont perdu près d’un an de socialisation », déplore Anne Marie Bureau.
Elle présente le cas d’un enfant qui montre déjà des troubles anxieux en vue d’un retour à l’école après une période de confinement. « J’ai vu une petite de secondaire, en 7e année, 1 qui était une première de classe, qui adorait l’école et qui a développé toutes sortes de symptômes psychosomatiques. Elle a fini par dire à ses parents : “Je déteste l’école”. »
Tracy Vaillancourt note quant à elle que la fermeture des écoles a des répercussions sur la santé mentale et physique, la performance scolaire et la solitude des enfants. En même temps, elle note que « certains enfants étaient mieux pendant la pandémie qu’avant. Par exemple, les victimes d’intimidation et ceux qui sont atteints d’anxiété sociale », dit-elle.
Ces enfants auront besoin d’appuis lors du retour en classe, selon Tracy Vaillancourt.
*Étude soutenue par une subvention de l’Initiative d’action COVID-19 de l’Université de Toronto.