Paru le 12 avril 2022 aux Éditions du Blé et inspiré de la pièce Je m’en vais à Regina écrite par l’auteur manitobain Roger Auger, Je m’en vais/Débâcle de Katrine Deniset donne un second souffle au texte orignal tout en étant ancré dans l’époque actuelle.
Par Jonathan Semah
L’origine du projet commence sur les planches du théâtre de l’université de Saint-Boniface (USB) il y a deux ans. Contactée par le cinéaste manitobain Stéphane Oystryk pour rafraîchir la pièce de Roger Auger et la présenter au public, Katrine Deniset s’est rapidement rendu compte qu’il fallait plus qu’une simple mise à jour.
« Après avoir lu la pièce, j’ai rappelé Stéphane en lui disant que j’avais besoin d’en faire plus que ce dont on en avait parlé. Pour moi, il fallait aller plus loin que ça. Il y avait des choses qui ne marchaient plus chez les personnages dans leur façon de parler et de penser.
« Déjà dans le titre Je m’en vais à Regina, à l’époque, il n’y avait pas une francophonie vraiment établie en Saskatchewan ou dans l’ouest, à l’exception du Manitoba. Le Manitoba est un peu le noyau francophone de l’ouest. Quand un enfant d’une famille manitobaine disait, je m’en vais à Regina, c’était une façon de s’en aller vers l’assimilation. Alors, qu’aujourd’hui, il est possible de trouver une autre francophonie à Regina.
« Donc, j’ai gardé le squelette du texte original, la longueur et le nombre de tableaux, mais ce sont de nouveaux personnages et de nouvelles voix. »
Finalement, la version de Katrine Deniset a été mise en scène par Gabriel Gosselin et présentée par les Chiens de soleil, troupe de théâtre de l’USB.
D’ailleurs Katrine Deniset a eu la chance de proposer sa version à Roger Auger, lui-même. Désormais libraire au Québec, il a apprécié le travail de Katrine Deniset.
« Il avait presque oublié qu’il avait écrit cette pièce tellement c’est loin. Mais j’ai pu lui envoyer mon texte une fois que j’avais terminé, il a vraiment aimé ça. Il a reconnu des brins de sa pièce sans que ce soit sa pièce. Donc, ça s’est bien passé. Ça aurait été loupé quelque chose de ne pas lui faire lire. »
Plusieurs façons de vivre sa francophonie
Si 46 ans séparent les deux textes, les thèmes abordés, eux, restent très actuels : identité, francophonie, assimilation ou encore famille exogame. Les personnages dépeints dans la version de Katrine Deniset ont tous un lien différent avec la francophonie et représentent tous, à leur manière, la francophone manitobaine en 2022.
« L’objectif, c’était d’imaginer une famille contemporaine franco-métisse et de pluraliser ce que c’est d’être francophone au Manitoba, car ce n’est pas qu’une seule affaire. Par exemple, dans ma famille à moi qui compte cinq membres, il y a cinq manières de vivre la francophonie. Et tant mieux! Fut un temps, je pense que j’avais l’approche militante de Chêne (l’un des personnages du livre) dans mon quotidien quand j’apprenais l’histoire du Manitoba.
« Oui, c’est important d’avoir des piliers dans notre communauté, mais ce n’est pas que ça, on peut lutter différemment. On peut vivre notre francophonie de manière différente. Donc oui, l’idée, c’est de montrer que dans une même famille, avec trois enfants, comme il y a dans le livre, il y a plusieurs francophonies. Et pourtant, ils ont les mêmes parents et tous, la même éducation. »
Et cette pluralité se trouve dans l’écriture elle-même. Le texte se lit, mais peut s’entendre aussi. Plusieurs langues sont à découvrir. Les dialogues sont en français, en anglais, en mitchif, le wolof est aussi évoqué.
« Pour les parties en mitchif notamment, j’ai été aidée par Jules Chartrand, un aîné de Saint-Laurent. Je ne peux pas assez le remercier, c’est tellement précieux.
« J’ai écrit des répliques de Rusty, le personnage du père de famille, et Sophie, sa fille. J’ai écrit en français puis j’ai parlé avec Jules pour faire la traduction. C’est incroyable, je sais à quel point Jules Chartrand est occupé, c’est énorme ce qu’il a fait pour moi. Et c’est aussi important, car quand je pensais à la pièce de Roger Auger, je trouvais qu’il manquait un peu cet esprit de renouement avec la culture métisse et le mitchif. On peut dire que c’est des langues menacées de disparaître, mais si on les documente, les archive, les imprime, on peut leur donner une nouvelle vie. »
Rester dans ce cocon franco-manitobain rassurant ou partir de ce quotidien parfois oppressant est donc l’enjeu principal du livre. C’est la question qui tiraille Sophie, le personnage principal, tout le long du livre, mais c’est aussi une réalité bien connue par Katrine Deniset.
« C’est souvent ce que j’ai vécu quand je suis partie. Quand j’ai quitté le Manitoba, je me sentais étouffée, je ne pouvais plus être dans ces soirées où je connaissais tout le monde. Je me sentais complètement submergée. Je suis partie à plusieurs reprises puis quand je reviens je me sens mieux. Je me sens plus à l’aise chez moi et j’ai une meilleure perspective d’où je viens. »