FRANCOPRESSE – Le pape François a demandé pardon pour « le mal commis » aux peuples autochtones et « en particulier, pour la manière dont de nombreux membres de l’Église et des communautés religieuses ont coopéré » lors de son allocution à Maskwacis, en Alberta. Selon le doyen de la Faculté de théologie de l’Université Saint-Paul, Michel Andraos, les excuses du souverain pontife étaient justes, mais il craint que l’Église canadienne ne soit pas outillée pour poser des gestes concrets vers la réconciliation.
Mélanie Tremblay – Francopresse
Francopresse : Comment voyez-vous la venue du pape de façon générale?
Michel Andraos : D’une façon générale, je pense que c’est une très bonne visite. C’est un geste symbolique qui est très important pour les peuples autochtones et qui fait quand même partie des demandes d’appel à l’action après le rapport final de la Commission de vérité et réconciliation (CVR).
C’est le résultat d’un processus très long et malheureusement qui a été prolongé plus longtemps que nécessaire par les évêques du Canada. S’ils avaient fait ça tout de suite après la présentation du rapport final, les évêques auraient pu inviter le pape et il aurait pu venir l’été d’après. [Ce prolongement] a vraiment créé beaucoup de douleurs, tant pour les victimes des pensionnats que pour les peuples autochtones en général.
Je pense qu’on est dans un monde symbolique où les gestes parlent beaucoup du point de vue culturel et du point de vue de la spiritualité.
Dans les excuses que [la Conférence des évêques catholiques du Canada (CECC)] a faites en septembre, ce n’était qu’une page, mais c’était une page très importante. Si les évêques avaient fait ça en 2015 ou en 2016, on aurait pu éviter une visite du pape.
Je pense qu’on a beaucoup de matière pour travailler à partir de maintenant avec les peuples autochtones. Leur réaction est bonne selon ce qu’on voit, mais du côté de l’Église, il y a beaucoup de travail à faire.
Avez-vous des exemples concrets de ce qui peut être travaillé?
Ça doit être travaillé sur le plan local, auprès de chaque institution. Nous avons un mandat d’appel à l’action de la Commission de vérité et réconciliation pour étudier l’Histoire, comprendre mieux la violence et voir comment l’Église a participé à la colonisation. Il n’y a pas une seule institution catholique ou théologique au Canada qui a rempli ce mandat de la Commission ou qui a pris l’appel à l’action sérieusement.
Je ne connais pas un seul ouvrage ou un seul projet de recherche mené par les évêques du Canada ou par les églises pour comprendre ce que le pape appelle à faire [« mener une sérieuse recherche sur la vérité du passé »]. Il ne fallait pas attendre le pape pour faire ça. Les institutions devaient commencer il y a longtemps, même avant le rapport final.
Ce processus de réconciliation a commencé il y a près d’une trentaine d’années. Les communautés religieuses et les églises ont alors commencé à présenter des excuses. Mais qu’est-ce qui explique ce retard [de la CECC]? C’est incompréhensible!
À l’Université Saint-Paul, on a créé un centre sur les Églises et la vérité et réconciliation, on a embauché un professeur précisément pour enseigner cette matière cette année. On a monté des programmes de collaboration en sciences religieuses sur la réconciliation. On essaie de faire des partenariats avec des ainés autochtones pour appuyer aussi leurs initiatives. Ce n’est pas pour nous qu’on le fait. On fait ça avec eux, pour eux. Mais il y a beaucoup pour nous aussi parce qu’on a besoin d’apprendre.
C’est vraiment un chantier énorme pour le moment et c’est inacceptable que la théologie et les églises aient soutenu cette pratique violente de destruction des cultures.
En plus d’un travail de réconciliation, il y a un travail de conscientisation qui est aussi nécessaire.
Absolument! On est très en retard. La plupart des organisations menées par les membres de la Conférence des évêques ne sont vraiment pas au niveau.
À ma connaissance, il n’y a aucun ouvrage ou aucun projet de recherche soutenu par les évêques sur cette matière qui est très clairement définie depuis longtemps. C’est inacceptable!
La majorité des évêques, à mon avis, n’ont pas vraiment bien compris la responsabilité de l’Église. Ils n’ont pas pris ça très sérieusement. Peu d’évêques comprennent la complexité de ce que veut dire la participation de l’Église à la colonisation. Le pape a dit qu’il faut un travail d’éducation.
Je travaille avec les évêques, je les écoute, mais à mon avis, ils manquent de capacités pour prendre ça sérieusement. Très peu ont fait des changements dans leurs diocèses, ont repensé leurs relations avec les peuples autochtones.
Cette politique d’assimilation que le pape a critiquée dans son discours, c’est présent dans tous les diocèses. Les évêques ne savent pas comment travailler avec les Autochtones catholiques ou les Autochtones anglicans. Ils n’arrivent pas à penser à un modèle qui fonctionne parce que ça ne fait pas partie de la tradition catholique chrétienne, surtout pas au Canada.
La plupart des églises et des évêques sont plutôt du côté conservateur, ils n’ont pas une manière de penser théologiquement à d’autres possibilités qui existent ailleurs dans le monde.
C’est tout un chantier qui se présente devant l’Église canadienne. Est-ce qu’elle a une direction assez forte pour appliquer ces changements?
Franchement, je ne pense pas que l’Église canadienne a la capacité de répondre de manière profonde. Il y a des évêques qui ont atteint cette transformation profonde, mais la majorité n’est pas là. Ça va être très difficile pour l’Église canadienne de répondre de façon sérieuse.
La plupart des évêques ne connaissent pas l’histoire des Autochtones catholiques dans l’Église du Canada. Ils ont d’autres préoccupations la plupart du temps. On a un grand problème d’éducation théologique.
Ils font des gestes à l’intérieur de l’Église catholique très décoratifs, comme le smudging au début de la messe, un peu de tambours à la fin, mais pas de changements substantiels. C’est pour ça qu’on doit faire des études pour aider les nouveaux leadeurs dans les églises à comprendre l’amplitude du changement qu’on doit faire à l’intérieur de l’Église.
Ce n’est pas pour sauver les églises, c’est pour la réconciliation, pour l’avenir qu’on veut ensemble.
La situation canadienne est très importante pour tout le continent. Ce sont tous les Canadiens qui sont impliqués, ce sont toutes les églises, c’est une question publique. On a vraiment un grand travail à faire en ce moment.
L’entrevue a été condensée et remaniée pour des raisons de longueur et de clarté.