Adoptée en décembre 2018, la Loi sur l’équité salariale du gouvernement fédéral entrera en vigueur le 31 aout prochain. Visant les quelque 900 000 travailleurs sous règlementation fédérale au pays, soit environ 6 % de la main-d’œuvre canadienne, cette Loi est qualifiée par plusieurs de «pas dans la bonne direction». D’après les personnes interrogées, il en faudra toutefois davantage pour atteindre réellement l’équité salariale au Canada.
Par Ericka MUZZO – Francopresse
« Atteindre l’équité salariale au Canada, c’est quand même une grosse tâche. [La Loi] aidera à l’atteinte de l’équité salariale, sans aucun doute, mais pour l’atteindre on a encore du chemin à faire », stipule d’emblée Eve-Lyne Couturier, chercheuse à l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS).
La Loi sur l’équité salariale, appuyée par le Règlement sur l’équité salariale, prévoit qu’à partir du 31 aout 2021 « les employeurs qui comptent 10 employés ou plus auront trois ans pour élaborer et mettre en œuvre leur plan proactif d’équité salariale ».
Cela s’applique uniquement aux milieux de travail sous règlementation fédérale, « y compris les secteurs public et privé fédéraux, les milieux de travail parlementaires et les cabinets du premier ministre et des ministres », précise Emploi et Développement social Canada par voie de communiqué.
« Pour s’assurer que la Loi est bien adaptée aux milieux de travail gérés par des corps dirigeants autochtones relevant de la compétence fédérale, la Loi et le Règlement ne s’appliqueront pas automatiquement à ces corps dirigeants en tant qu’employeurs. Ils ne seront pas assujettis à l’application de la Loi jusqu’à une date que le gouverneur en conseil pourrait fixer par décret », ajoute le ministère.
« La règle devrait être pour tout le monde »
À l’Alliance des femmes de la francophonie canadienne (AFFC), l’annonce de l’entrée en vigueur de la Loi sur l’équité salariale a été accueillie avec enthousiasme, mais aussi avec circonspection.
« C’est définitivement une annonce qu’on attendait. L’AFFC mène l’Écho des femmes chaque 8 mars — on en était cette année à notre 4e édition — pour mettre de l’avant l’importance de l’équité salariale. Surtout que le sujet est encore plus important aujourd’hui avec la pandémie, parce qu’on sait que les femmes sont souvent dans des rôles ou des emplois sous-payés par rapport à leur travail », indique la directrice générale de l’organisme, Soukaina Boutiyeb.
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« C’est une Loi qui, à mon avis, aurait dû être faite bien avant », enchaine la directrice générale de l’AFFC, qui déplore que la Loi ne s’applique pas à l’ensemble de la population.
« Une Loi sur l’équité salariale, l’idée c’est qu’elle doit être là pour tous les Canadiens et les Canadiennes. Peu importe l’emploi qu’une personne occupe, elle devrait être payée aux mêmes compétences et au même travail que son homologue masculin, que ce soit dans une institution qui a 10 employés ou moins. Donc c’est un pas en avant, mais la règle devrait être pour tout le monde », soutient encore Soukaina Boutiyeb.
Inspirer les provinces et territoires à en faire plus
Étant donné qu’un nombre restreint d’industries et de milieux de travail sont soumis à la règlementation fédérale, les provinces et territoires ont également leur rôle à jouer dans la mise en place de règlementation pour atteindre l’équité salariale.
Eve-Lyne Couturier, de l’IRIS, espère que la Loi fédérale permettra de renforcer les lois sur l’équité salariale existantes dans les différentes régions du pays – « qui varient et qui invitent au perfectionnement avec le temps », précise la chercheuse.
« La Loi fédérale ressemble beaucoup à celle du Québec, qui n’est pas la pire des lois sur l’équité salariale, même s’il y a beaucoup de travail à faire. Mais si toutes les provinces s’alignaient sur le fédéral, sur le Québec, ça serait déjà un pas dans la bonne direction. En même temps, c’est sûr qu’il y a des angles morts dans ce qu’on a vu au Québec qui seront répliqués au fédéral », souligne Eve-Lyne Couturier.
Parmi ces angles morts, la chercheuse nomme la comparaison des salaires au sein d’une même entreprise, et non pas au sein d’une industrie ou d’un domaine : « Donc une entreprise qui serait majoritairement féminine ou un domaine qui serait majoritairement féminin va avoir quand même des salaires moindres qu’un domaine connexe majoritairement masculin. Si ce n’est pas le même employeur, ces salaires-là ne seront pas comparés », illustre-t-elle.
Pour Soukaina Boutiyeb, « il y a aussi un leadeurship à avoir de la part du gouvernement fédéral pour travailler avec l’ensemble des provinces et territoires et s’assurer qu’elles aient toutes une loi sur l’équité salariale qui soit là pour tout le monde ».
La directrice de l’AFFC espère en outre que le gouvernement fédéral prendra en compte l’Analyse comparative entre les sexes plus (ACS+) dans l’implantation de sa Loi, pour s’assurer que les femmes minorisées — racisées, francophones, ayant un handicap ou autre — ne soient pas affectées de manière disproportionnée.
Eve-Lyne Couturier souligne en outre que l’écart salarial entre les hommes et les femmes « s’explique par un nombre de variables assez important : type d’études, d’emplois, prise de risque, heures travaillées… Mais même quand on compense toutes ces variables-là, il reste toujours un écart inexplicable. C’est cet écart-là qu’il faut changer ».
« Il faut repenser aussi l’équilibre travail-famille et les valeurs qu’on encourage et qu’on valorise en tant que société. On ne peut pas juste avoir des gens qui prennent des risques et qui travaillent des heures de fous ; ça prend des gens pour faire à manger, le lavage, s’occuper des enfants, du bienêtre émotionnel… Ça prend du temps et de l’énergie. »
À l’avenir, la chercheuse aimerait que la notion d’équité salariale prenne en compte « l’équilibre général de la société, le travail invisible et domestique » pour que les gens ayant des charges mentales domestiques très importantes soient pleinement inclus.
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Quelles sont les lois dans les diverses provinces et territoires?
Le Bureau de l’équité salariale (BES) de l’Ontario a fait paraitre il y a trois ans le Survol de la parité salariale dans diverses administrations au Canada 2018.
« Le gouvernement du Canada et les gouvernements provinciaux ont édicté diverses formes de législation et de mécanismes législatifs dans le domaine des normes du travail ou des droits de la personne pour traiter le problème de la discrimination salariale fondée sur le sexe. Cette discrimination est interdite par les lois sur les droits de la personne en Colombie-Britannique, en Alberta, en Ontario et en Saskatchewan ; l’égalité des salaires pour des tâches similaires ou identiques est une exigence des lois sur les normes d’emploi en Ontario, au Manitoba, en Saskatchewan, au Yukon, à Terre-Neuve et dans les Territoires du Nord-Ouest », peut-on lire en introduction.
« L’équité salariale (salaire égal pour un travail de valeur égale) est rendue obligatoire par différentes lois visant le secteur public au Manitoba, en Nouvelle-Écosse, au Nouveau-Brunswick et à l’Île-du-Prince-Édouard, et le secteur public et certains secteurs privés au Québec et en Ontario », précise encore le BES.