Fondé en 1871 par les Soeurs Grises, l’Hôpital Saint-Boniface a connu plusieurs péripéties avant d’être l’institution que nous connaissons aujourd’hui.
Pour La Liberté, l’historien Jean-Marie Taillefer, revient sur les moments marquants qui ont permis la création de l’hôpital.
Par: Jonathan SEMAH
L’Hôpital Saint-Boniface ne s’est pas fait en un jour. Il faut remonter bien avant 1871 pour comprendre la création de cet établissement.
« Mgr Provencher (1787-1853) cherchait une congrégation religieuse dans l’idée d’avoir un système éducatif plus constant pour les jeunes filles et même les jeunes garçons. Il a cherché un peu partout et a finalement été récompensé.
Les Soeurs de la Charité de Montréal, connues sous le nom de Soeurs Grises, ont accepté de relever le défi. Elles sont arrivées en juin 1844 sur les bords de la rivière Rouge. Leur vocation première se trouve surtout dans le domaine de la santé, de l’orphelinat et de l’aide aux plus démunis. Mais elles viennent faire de l’éducation leur priorité. »
Très rapidement, les Soeurs commencent leur mission. L’objectif premier était évidemment d’avoir un toit. Elles participent à la création d’un bâtiment qui existe encore aujourd’hui : le Musée de Saint-Boniface. Construit de 1846 à 1851, ce bâtiment a d’ailleurs été le premier service hospitalier du futur hôpital de Saint-Boniface.
Dès leur entrée dans ce nouveau couvent en 1847, les Soeurs ont commencé à recevoir des malades.
« Dans les années 1850 et 1860, même si elles étaient là pour l’éducation, elles ont fait de nombreuses visites à travers la colonie pour aider les gens dans le besoin. »
Graduellement, les Soeurs vont continuer leur mission en éducation comme en créant l’Académie St. Mary’s en 1869 par exemple. Mais rapidement, elles vont vouloir se rapprocher de la santé.
« En 1871, elles laissent cette école aux mains d’une autre congrégation, celle des Soeurs des saints Noms de Jésus et de Marie. C’est clair, à ce moment là, les Soeurs Grises veulent laisser de côté certaines de leur tâche en éducation pour se consacrer aux soins de santé », explique Jean-Marie Taillefer.
Le besoin s’est alors vite fait ressentir : il fallait une bâtisse à part entière pour accueillir les patients. En 1871, un premier service avec quatre lits voit le jour.
« Il a fallu attendre sept ou huit ans plus tard pour avoir 10 lits. Ça semble insignifiant mais c’est déjà gros pour une colonie de cette taille. Pour rappel, le premier recensement se fait en 1871 et à ce moment là, on compte environ 12 500 personnes. » Également, à la création de l’hôpital, le gouvernement en place a participé financièrement à hauteur de 500 $. C’est une somme qui sera renouvelée chaque année pour les besoins de l’hôpital et son orphelinat.
« Bon évidemment, ça paraît une somme dérisoire aujourd’hui. Mais la plupart de l’argent venait des dons. Ça venait de l’Est, des groupes donnaient pour les missions dans l’Ouest. Aussi, des gens dans leur testament, laissaient de l’argent pour l’hôpital. »
La générosité comme fondement
Clairement, les dons ont permis la survie de l’hôpital. En plus de la mission des Sœurs Grises, l’altruisme et la générosité ont permis à l’hôpital de grandir.
« Dès le début, cet hôpital a créé l’empathie. Même les moins aisés participaient à cet effort. Sans équivoque, tous les donateurs ont pu faire vivre l’hôpital. Il faut aussi dire que la communauté religieuse des Sœurs Grises a énormément contribué. Les religieuses travaillaient bénévolement et aidaient financièrement. »
Un autre moment important de l’histoire de l’hôpital sur lequel Jean-Marie Taillefer souhaite revenir, c’est les années 1890. À la suite de la minorisation progressive des francophones du Manitoba, les dirigeants de la province ont aboli les droits linguistiques et religieux.
L’Assemblée législative a donc adopté, le 31 mars 1890, la Official Language Act ou Loi sur la langue officielle, qui faisait de l’anglais la seule langue des registres, des procès-verbaux et des lois du gouvernement manitobain.
Quel a été alors l’impact de cette loi pour les Sœurs Grises?
« Le groupe francophone représentait environ 14 % des citoyens alors qu’il était majoritaire 20 ans plus tôt. La lutte était féroce notamment en éducation. Mais dans le système de santé, les religieuses ont quand même réussi à maintenir des services comme avant 1890.
Sur des questions légales il fallait malgré tout coopérer avec le gouvernement mais la santé a plutôt été protégée. Les politiques ne pouvaient pas se débarrasser des services des soins de santé qui étaient prodigieux. Les soins ont même été améliorés en 1894 car une salle d’opération a été ajoutée.
C’était quand même l’hôpital le plus important de la province. »
Ressorti plus fort de cette crise, l’hôpital s’est dirigé vers l’innovation. Il passe de 10 lits en 1877 à une capacité d’accueil de 400 lits en 1905. Il prend alors de plus en plus de place dans la société étant l’un des employeurs le plus important de la province.
« Pour Saint-Boniface et ses alentours, si on voulait avoir de l’emploi, et si on était un bon
travailleur, c’est clair que c’était des postes choyés, des bons postes à avoir. »
Des années plus tard, l’hôpital Saint-Boniface continue à jouer un rôle clé dans la communauté.
« Pour les francophones, notamment, c’est l’hôpital le plus important qui garde un certain nombre de valeurs religieuses et ne veut pas les laisser de côté. La tradition continue et l’esprit des Sœurs Grises vit encore même 150 ans plus tard. »
(Ce texte est issu du cahier spécial célébrant les 150 ans de l’Hôpital Saint-Boniface, disponible en plus du journal du 24 novembre.)