Dans la nuit du 24 au 25 novembre 1922 un incendie majeur a détruit une grande partie de ce qu’on appelait à cette époque le Collège de Saint- Boniface. L’Université de Saint-Boniface (USB) a commémoré il y a quelques jours le 100e anniversaire de ce triste incident en rendant hommage aux dix victimes.
Retour sur cet évènement historique qui a construit une partie de la francophonie manitobaine et qui comprend encore quelques zones d’ombre.
Par Jonathan SEMAH
Il est 2h15 du matin cette nuit du 25 novembre 1922 quand le père Onésime Lacouture entend une première explosion. Vitres cassées, fumée et la couleur rouge de plus en plus présente, il comprend rapidement que l’établissement de quatre étages est en feu. Très vite, il s’en est allé vers le téléphone pour avertir les pompiers. Mais il ne voyait pas les numéros pour les contacter. Pas à cause de la fumée, mais parce qu’il n’avait pas ses lunettes. Cette péripétie fait partie de la longue liste d’évènements qui ont sûrement ralenti l’intervention des pompiers. « Tout ce qui pouvait aller mal ce soir-là est allé mal. Ça n’aurait pas pu être pire », résume Carole Pelchat, archiviste depuis 1999 de l’USB, qui rappelle quand même le geste réflexe du père Lacouture qui a dans la foulée lancé la sonnette électrique pour avertir les résidents du Collège. « Avec cette sonnette, les élèves ont eu au moins cinq minutes pour se réveiller et comprendre ce qu’il se passait. Sans cette alarme, il y aurait pu avoir encore plus de victimes. »
Dans la même veine, Carole Pelchat rappelle aussi que quelques jours plus tôt les pompiers ont connu certaines difficultés. « La semaine d’avant, le camion de pompiers avait eu un accident. Les échelles et les filets de sauvetage étaient brisés. Une prise d’eau était gelée et il n’y avait pas assez de pression pour atteindre tous les étages. C’était très chaotique. »
Carole Pelchat rappelle tout de même que malgré la situation extrêmement délicate et incontrôlable, l’évacuation a été plutôt rapide. « L’édifice a été évacué, autant que possible, en 30 minutes. »
Pour rappel, à la veille de l’incendie du 25 novembre 1922, 343 élèves, dont 154 pensionnaires, fréquentaient le collège, et le personnel comprenait 41 personnes.
Fait notamment en bois, le Collège de Saint-Boniface est rapidement parti en fumée ne laissant que peu de chances aux victimes ou aux matériels. Seule la cuisine est restée intacte. Elle est d’ailleurs devenue dans les années 1940 une partie de la radio CKSB.
Carole Pelchat indique que l’établissement n’était pas conçu pour ce genre d’évènement dramatique. « Le feu s’est propagé extrêmement vite. Si on regarde les images de l’édifice, il y a la partie centrale, les deux tours et derrière les escaliers de sauvetage. Dans des circonstances normales, les étudiants auraient pris les deux tours pour rejoindre les escaliers. Mais ils étaient déjà remplis de fumée comme il n’y avait pas de portes coupe-feu. La directive, c’était de prendre ces escaliers, mais certains se sont aventurés et ont plutôt pris les escaliers de la tour. C’est d’ailleurs dans ce groupe de personnes qu’on trouve la plupart des victimes. »
| « Quelle a été l’origine du feu? »
C’était la question posée dans l’édition du 5 décembre 1922 de La Liberté. Cette question, cent ans plus tard, reste encore d’actualité. En effet, à l’époque, après deux semaines d’enquête menée par la province dans laquelle 66 témoignages ont été entendus, dont des étudiants, des jésuites et des pompiers, il a été impossible de trouver la cause exacte de l’incendie.
Cigarette, électricité défectueuse, expériences dans un laboratoire de chimie, cause criminelle et même une rumeur mentionnant le Ku Klux Klan, beaucoup de possibilités ont été avancées. Carole Pelchat ne croit pas à l’accident et penche plutôt pour l’explication intentionnelle. « Les jésuites étaient convaincus que c’était un incendiaire et j’ai tendance à croire leur théorie. Entendre des explosions au rez-de-chaussée. Comment ça peut être une cigarette? Oui, l’établissement était en bois et beaucoup de matériaux était inflammables, mais à 1h30 du matin, le père recteur marchait dans les couloirs et tout était calme puis 45 minutes plus tard, explosion. Qu’est-ce qui s’est passé? »
Certains témoignages sont allés dans le sens de Carole Pelchat. Le plus troublant reste celui de Charles Loiselle. La résidente de la rue Desautels expliquait avoir vu à deux reprises ce soir-là un homme rôder autour du Collège. « Il avait en main quelque chose qui semblait un câble », peut-on lire dans un texte de Carole Barnabé dans les cahiers franco-canadiens de l’Ouest en 1997 et toujours disponible sur le site internet de l’USB.
| Le Collège se relève…
Au final, dix personnes sont décédées ce soir-là : Lionel Bouvier (16 ans), James Duquette (16 ans), Joseph Guilbert (16 ans), Oliva Laflèche (16 ans), Lawrence Legree (15 ans), John McGlyn (9 ans), Henri Pélissier (15 ans), frère Frederick Stormont (44 ans), Arthur Taylor (18 ans) et Léopold Tremblay (9 ans). Les funérailles des victimes eurent lieu le jeudi 30 novembre 1922 à la Cathédrale de Saint- Boniface en présence de plus de 4 000 personnes.
Les pertes matérielles du Collège ont elles été évaluées à 700 000 $, dont 600 000 $ pour l’édifice même. « Il a fallu rebâtir, car on avait toujours le terrain, mais les gens étaient pauvres! Le gouvernement du Québec a donné 25 000 $ et le gouvernement manitobain n’avait pas participé », détaille Carole Pelchat.
| … La francophonie aussi
Malgré tout le Collège s’est reconstruit, mais pas exactement au même endroit. Le Petit Séminaire, situé au 200 avenue de la Cathédrale, actuelle adresse de l’USB, est offert au lendemain du sinistre par l’archevêque de Saint- Boniface, Mgr Arthur Béliveau. « Ça a été le bon choix. Certes le Collège était sur un terrain immense de 22 acres, mais au moins là il y avait un édifice prêt à l’emploi. C’était essentiel, car sans édifice, les jésuites partaient », ajoute Carole Pelchat.
Cette période s’inscrit d’ailleurs dans un moment délicat pour la francophonie. En 1916, le gouvernement manitobain interdit l’enseignement du français dans les écoles publiques, en 1922, le Collège brûle et au début de l’année 1923, l’École Provencher brûle aussi dans des circonstances qui restent aussi mystérieuses. « Saint- Boniface est connu pour rebâtir. On se relève et l’on continue », mentionne Carole Pelchat. « C’était peut-être dans un sens une bonne chose pour assurer notre survie francophone. Il n’y avait pas assez d’espace, la décision a alors été prise de couper le cours anglophone. On a gardé le cours francophone et évidemment il y avait de la politique derrière ça. On voulait préserver le français au Manitoba. Il y a eu cette loi de 1916 et il faut se rappeler que les jésuites étaient eux-mêmes des inspecteurs d’écoles francophones. »
Et c’est dans l’optique de se souvenir et toujours se relever que l’USB, à l’occasion du 100e anniversaire, propose aux étudiants et au public de découvrir une exposition qui revient sur les moments forts de cet évènement tragique. Pour Carole Pelchat, c’est un bon moyen pour les étudiants d’aujourd’hui de comprendre l’histoire de leur université. « On veut leur montrer qu’on a eu des moments bas dans notre histoire. On a survécu et l’on est ici grâce à la persévérance des gens avant nous. C’est grâce à eux qu’on a l’USB qu’on connaît aujourd’hui. »