Stan Tytarenko, sa mère Natalia, sa femme Xin et leur fille, Kassandra, sont arrivés au Canada au mois de juillet. Reconnaissants de toute l’aide que leur famille a reçue, les Tytarenko sont aujourd’hui bien installés dans la capitale manitobaine. Stan, quant à lui, s’efforce à son tour d’aider ceux qui en ont besoin.

Par Hugo BEAUCAMP

Le 27 juin 2022, des missiles russes s’abattent sur le centre commercial de la ville de Krementchouk. 

Jusque-là relativement épargnée par les combats, tout bascule en quelques minutes. 20 morts, 56 blessés. Lorsque la nouvelle tombe, Stan Tytarenko est en Pologne où il travaille. Ce jour-là plus de doute possible, Stan Tytarenko sait qu’il doit emmener les siens le plus loin possible. « Nos visas étaient déjà prêts. » En Ukraine au moment des faits, Sa mère, Natalia, sa femme Xin et leur petite fille, Kassandra, âgée d’un an à peine le rejoignent. Direction Francfort en Allemagne puis l’aéroport : la famille s’envole pour Vancouver le 3 juillet.

«Tout est allé très vite », raconte le colosse ukrainien d’une voix profonde qui résonne, mais qui transpire la gentillesse. Sur le sol canadien pour la première fois, la réalité le rattrape : « J’étais seul avec ma mère, ma femme et ma fille, et il fallait que l’on navigue la ville, que l’on se loge pour au moins une semaine. »

Car leur vol pour Winnipeg est prévu le 12. Leur séjour à Vancouver durera donc huit nuits et neuf jours. « Toutes mes demandes de réservation sur Airbnb étaient refusées. Alors j’ai commencé à m’inquiéter. Finalement un hôtel a accepté de nous louer une chambre pour quatre pour une nuit, mais ils m’ont proposé de garder nos valises en réserve pendant toute la durée de notre escale. » Une main tendue, puis une autre : « s.u.c.c.e.s.s, une agence des services sociaux de la Colombie-Britannique, nous a ensuite aidés avec les chambres d’hôtel. »

| Une solidarité qui fait du bien

La peur s’efface alors pour laisser place à un peu d’émerveillement. « Je ne m’attendais pas à autant de soutien, dit-il. Surtout, je ne pensais pas que d’entendre quelqu’un me dire Je te soutiens aurait autant d’importance à mes yeux. » Stan Tytarenko et les siens ne sont pas encore au bout de leurs surprises.

Nous sommes le 12 juillet, leur vol a du retard, ils atterrissent à l’aéroport de Winnipeg tard dans la soirée. Le père de famille se souvient : « J’avais entendu dire qu’un comité d’accueil existait à l’aéroport, mais je n’en étais pas sûr. Comme il était presque minuit, j’ai couru vers les tapis de bagages et au loin, j’ai aperçu des tournesols et une femme ukrainienne qui nous attendait. » Un sourire se dessine alors sur son visage et il continue : « Elle m’a dit de me calmer, que tout allait bien, qu’une navette était en route et qu’elle nous amènerait vers un hôtel. »

Stan Tytarenko et les trois femmes de sa vie resteront un peu plus de deux semaines dans cet hôtel. Par altruisme, ils mettent l’accent sur la recherche d’un appartement pour « laisser la place à ceux qui arriveront après nous. » Très vite donc, la famille s’installe dans un appartement au cœur du quartier de Saint-Boniface.

| C’est le présent qui compte

Sa femme Xin ne tarde pas à trouver du travail en tant que comptable. Stan, lui, travaille pour une agence de recrutement qui aide les Ukrainiens à trouver un emploi ici, au Manitoba. Et comme pour rendre la pareille, dès qu’il le peut, il passe ses samedis à l’aéroport, près des tournesols, pour accueillir ses compatriotes fraîchement arrivés. La boucle est bouclée.

Enfin, on souffle. Kassandra est encore jeune, trop jeune pour comprendre les raisons qui ont poussé ses parents à partir si loin si vite. Mais Stan en a bien conscience, elle finira par grandir. « Si elle grandit ici, elle grandira en absorbant son environnement, la culture canadienne. Elle me demandera peut-être un jour pourquoi je dis que je suis ukrainien et pourquoi sa maman se dit chinoise. Il faudra lui expliquer à ce moment-là. » Le gaillard a encore un peu de mal à s’imaginer en terre manitobaine sur le long terme, et cela pour deux raisons.

« Après tout ce qui s’est passé cette année, nous avons un peu perdu la capacité de nous projeter. On ne pense pas vraiment au futur, c’est le présent qui compte : nous sommes ici, en sécurité. » Une fois encore, c’est comme si l’essentiel sautait au yeux de ceux qui, en quelques instants, ont perdu tout ce qu’ils avaient toujours connu.

| Des retrouvailles retardées

Enfin, s’il ne se prononce pas quant à son avenir à Winnipeg, c’est aussi parce qu’il est arrivé ici avec un plan : « Au départ mon petit frère et sa femme, qui vivent en Pologne, devaient nous rejoindre ici. Je devais aider ma femme et ma mère à trouver un logement, un véhicule, m’assurer que tout allait bien et partir combattre. »

Quelques jours avant leur départ cependant, le père de la femme de son frère décède. Par souci pour sa belle famille, le frère de Stan décide de retarder son départ. Mais le géant n’en démord pas. Ses coudes viennent se poser sur ses genoux et il joint ses mains massives juste sous ses yeux qui trahissent sa détermination : « Si mon frère parvient à nous rejoindre, je partirai me battre. »

Un souhait qui est peut-être le fruit d’une volonté extrême de se rendre utile?

En attendant, Noël se profile, et selon toute vraisemblance, Stan Tytarenko le passera ici, auprès de sa famille, presque au complet. « Bien sur, mon frère ne sera pas là, et les parents de ma femme Xin non plus. Noël existe en Chine, mais c’est plutôt une fête commerciale. En revanche, ils vont essayer de venir passer quelques mois ici. Ils veulent passer du temps avec leur petite-fille. » Sa maman, Natalia, cuisinière de formation, s’occupera de préparer les 12 plats traditionnels ainsi que le fameux kutia (1). L’occasion pour Stan, le temps d’un repas, de replonger dans une tradition bien ukrainienne et profiter des personnes qui lui sont proches.

(1) Dessert traditionnel de Noël, très populaire en Ukraine.