Fondé par les Soeurs Grises en 1935, l’hospice Taché, démoli et reconstruit en 1973, est devenu le Centre hospitalier Taché. Voulu dans la continuité de la mission des Soeurs Grises, l’établissement n’a cessé d’évoluer pour devenir Actionmarguerite en 2011.
Une histoire riche qui met en lumière le travail pionnier mené par les Soeurs Grises dans le domaine de la santé. Charles Gagné, ancien directeur d’Actionmarguerite, et soeur Jacqueline St-Yves, ancienne supérieure générale des Soeurs Grises, apportent leur perspective.
Par Ophélie DOIREAU
Initiative de journalisme local – Réseau.Presse – La Liberté
Alors que les premières soeurs grises foulaient le sol manitobain en 1844 et qu’elles y fondaient un premier hôpital en 1871, c’est en 1935 que la congrégation s’attaque à un enjeu de société : le vieillissement de la population. En établissant l’hospice Taché, les Soeurs Grises souhaitaient offrir une fin de vie décente aux personnes âgées, parfois indigentes.
Soeur Jacqueline St-Yves tient à le rappeler : « Même s’il y a un nouvel établissement en 1973, son histoire est bien plus ancienne. Dès l’arrivée des soeurs à la Colonie de la Rivière- Rouge, elles ont commencé à prendre soin des personnes aînées, et plus généralement des personnes dans le besoin.
« Avec le passage des années, il est devenu clair qu’il y avait bien plus de personnes dans le besoin que ce que les soeurs pouvaient accueillir dans leur maison. Un bâtiment a été construit pour les personnes aînées, parce qu’il y avait un besoin non comblé par le gouvernement provincial. »
Au début des années 1970, alors que les gouvernements ont pris depuis quelques décennies un rôle beaucoup plus proactif dans le domaine de la santé, émerge le nouveau Centre hospitalier Taché. Charles Gagné précise :
« Ce nouveau bâtiment est certainement la naissance du Centre Taché tel qu’on le connaît depuis bientôt un demi-siècle. Pour les Soeurs Grises, en accord avec la volonté de leur fondatrice Marguerite d’Youville, l’idée de cet établissement était de prendre soin des personnes vieillissantes.
« La vocation de l’institution est vraiment très enracinée dans la mission des Soeurs Grises. »
| Le vieillissement des soeurs
L’époque est d’ailleurs propice, puisque le gouvernement du Manitoba veut investir davantage dans cet enjeu de société qu’est le vieillissement de la population. Charles Gagné note : « À partir des années 1970, il y a eu une plus grande injection de fonds publics dans les opérations du Centre Taché.
« Cette période marquait un élargissement des services aux personnes âgées à l’échelle de la province. Le gouvernement affichait un souci de s’occuper des aînés. En retour pour l’argent versé, le Centre Taché est devenu davantage redevable envers le gouvernement manitobain par rapport aux services qu’il livrait.
« Dans le même temps ont été formalisées les licences d’exploitation des foyers de soins de longue durée. Si le mandat du Centre Taché était toujours lié à la mission des Soeurs Grises, l’institution devenait toutefois de plus en plus responsable de livrer des services à l’échelle provinciale à la clientèle francophone en respectant les standards de la Province. »
Bien sûr le Centre Taché était aussi présent pour veiller sur le vieillissement des soeurs grises, comme le rappelle Charles Gagné. « Les Soeurs Grises étaient propriétaires du Centre Taché. L’établissement a eu un rôle clé durant les années 2000 pour accommoder les religieuses en son sein même, parce que leurs infirmeries fermaient peu à peu.
| Étage réservé aux soeurs
« Le Centre Taché a alors été appelé à devenir la place qui accompagnerait les religieuses jusqu’à leur fin de vie. »
À cette fin, un étage complet de 40 lits était réservé aux soeurs grises. Au fur et à mesure de la diminution de leur nombre, l’étage a été progressivement dédié aux femmes.
L’acceptation d’un terme à la congrégation faute de vocations, et donc de la nécessité de voir à une transition ordonnée pour préserver le charisme des Soeurs Grises, telle a été la préoccupation centrale pour soeur Jacqueline St-Yves en sa qualité de supérieure générale.« Il est devenu clair qu’il fallait se préoccuper de la relève pour nos oeuvres. Très tôt dans l’histoire, nous avons travaillé avec des laïcs. Nous aimions collaborer avec des gens de la place. Jamais les soeurs n’ont travaillé seules. Je me souviens de Rénald Massicotte, qui est devenu le premier directeur laïc du Centre Taché. »
| Un mandat bilingue
Charles Gagné, devenu en 2004 le troisième directeur laïc, fait remarquer : « Lorsque je suis arrivé en poste, il y avait encore quelques soeurs grises qui travaillaient dans le service spirituel. Au niveau des hautes responsabilités, il y avait déjà eu une transition vers les laïcs.
« En effet, les Soeurs Grises avaient établi en 2001 la Corporation catholique de la santé du Manitoba dans le but de transférer aux laïcs la gouvernance de leurs oeuvres, dont le Centre Taché, qui était alors redevable à la Corporation catholique de la santé du Manitoba et à son premier directeur général, Raymond Lafond (1). »
Puisque la volonté des Soeurs Grises était d’aider tout le monde dans le besoin, le Centre Taché a adopté dès 1991 une politique qui en a fait un établissement bilingue. La Liberté du 12 au 18 juillet 1991 rapportait : « Au Centre Taché, il y a 318 lits. La moitié des résidents sont francophones et environ 45 % des employés sont bilingues. »
Cette politique faisait suite au rapport Gauthier publié en 1990 (2). Charles Gagné revient sur le mandat particulier du Centre Taché. « Il a un mandat bilingue. C’est grâce au rapport Gauthier que les discussions ont pu commencer à ce sujet. Le rapport mettait l’emphase sur les services de santé et aux aînés.
| Une transformation nécessaire
« Plus tard, dans le rapport Chartier (3), l’importance du mandat bilingue du Centre Taché a été accentuée. Lorsque Greg Selinger était Premier ministre du Manitoba, on a pu intégrer officiellement ce mandat dans la licence d’exploitation. »
Pour Charles Gagné, cette étape n’aurait pas été rendue possible sans l’engagement historique des Soeurs Grises. « La communauté francophone s’est réappropriée davantage ses institutions grâce au fait que les Soeurs Grises avaient eu la clairvoyance de s’assurer, grâce aux laïcs, que leur mission se poursuive et continue après leur passage.
« Par la suite, des services de soutien ont été ajoutés au Centre Taché parce que la population vivait plus longtemps et que les personnes n’aboutissaient pas forcément en foyer de soins de longue durée.
« Dans cette optique-là, le CA du Centre Taché a procédé à une évaluation complète pour mieux comprendre le vieillissement de la population, en sachant que les soins institutionnels n’étaient qu’une composante dans les services aux personnes âgées.
« Il fallait repenser des soins axés vers la communauté et vers des besoins plus aigus. Le Centre Taché devait alors repenser son nom pour ouvrir un nouveau chapitre. C’est alors qu’il est devenu Actionmarguerite. »
(1) La Corporation catholique de la santé du Manitoba est devenue en 2020 le Réseau Compassion Network.
(2) Le gouvernement progressiste-conservateur de Gary Filmon avait demandé à Maurice Gauthier d’étudier la situation des établissements de santé et de service aux aînés quant à la mise en oeuvre de sa politique de services en français dans le domaine de la santé.
(3) Le juge Richard Chartier, aujourd’hui à la retraite, avait déposé en 1998 son rapport intitulé Avant toute chose, le bon sens dans lequel naissait le concept des centres de services bilingues qui regrouperaient sous un même toit et en régions désignées tous les services à la clientèle dans ses besoins les plus quotidiens, à tous les niveaux de gouvernement.