Au Canada, un manque criant d’infirmières contraint de nombreux services d’urgences à fermer temporairement, exerçant une pression supplémentaire sur un système de santé à bout de souffle.
Par Michel COMTE – © Agence France-Presse
“Les infirmières sont détachées, démoralisées et désespérées”, s’alarme Cathryn Hoy, présidente de l’Association des infirmières et infirmiers de l’Ontario (ONA). “La situation est critique”, ajoute la praticienne aux 20 années d’expérience.
Depuis le début de l’été, on compte par dizaine le nombre de services d’urgences qui ont été contraints de fermer pour une nuit, un week-end ou plus longtemps encore par manque de soignants.
A cela s’ajoutent des délais d’attente de plus en plus longs, jusqu’à 12, 16, 20 heures avant d’être examinés .
En proie à des douleurs extrêmes liées à la présence de sang dans son urine, Amélie Inard, 32 ans, a vécu cette situation lors de son récent passage dans des urgences “vraiment lentes” de Montréal.
C’est “la folie ce soir”, lui a répondu une infirmière, lui demandant dans la foulée de décrire ses symptômes “en une phrase, très rapidement, car on est très occupés”.
Frustrée, elle est repartie sans voir de médecin. Cette frustration des patients combinée à une charge de travail de plus en plus importante se traduit par un pic de violence à l’encontre du personnel médical, alerte pour sa part la présidente de l’ONA.
Une violence que plusieurs infirmières interviewées par l’AFP ont confirmé avoir vécu sous forme de coups de poing, de griffures, de crachats, mais aussi de jets de plateaux, de vaisselle ou encore d’excréments.
“Des conditions de travail insensées”
Dans la capitale Ottawa, la crise est telle qu’il n’est plus surprenant de n’avoir aucune ambulance disponible, car bloquées aux urgences, ne pouvant décharger leurs précédents patients. Entre janvier et juillet, ce scénario s’est reproduit plus de 1000 fois.
La semaine passée, un hôpital de Peterborough, à l’est de Toronto, a été contraint de soigner des patients en brancards sur le parking faute de places à l’intérieur, raconte Cathryn Hoy.
Dans la province voisine du Manitoba, le médecin Merril Pauls raconte que des lits aux urgences ont dû être fermés “à plusieurs reprises” cet été par manque d’infirmières.
Un dimanche, “on a littéralement été obligé de regrouper plusieurs patients en état critique dans une même salle de réanimation”, se lamente-t-il.
“Nos infirmières travaillent vraiment dans des conditions insensées”, s’indigne le médecin, ajoutant que c’est un “phénomène majeur qui se produit dans tout le pays” et qui “ne cesse de s’aggraver”.
Roulement élevé
Une récente enquête menée par le plus grand syndicat canadien, le SCFP, a révélé que 87 % des infirmières ont déjà songé à quitter leur emploi “à cause de conditions de travail ingrates et exténuantes”.
“Même les nouveaux diplômés démissionnent”, constate la présidente de l’ONA.
Bien que ses pouvoirs dans ce domaine soient limités, le gouvernement fédéral s’est récemment engagé à faciliter la reconnaissance des diplômes étrangers afin d’aider 11.000 médecins et infirmières immigrants à combler les vides: 34.400 postes d’infirmières sont vacants.
Mais le manque de personnel n’est pas la seule raison derrière les problèmes dans les hôpitaux.
Nombreux sont les Canadiens, comme Amélie Inard, qui n’ont pas d’autre choix que de se rendre aux urgences faute d’avoir un médecin de famille, engorgeant davantage le système.
“C’est tellement difficile de trouver un médecin”, confie-t-elle.
A cela s’ajoute une pénurie récurrente de lits, qui entraîne souvent de longues attentes pour transférer les patients des urgences vers les différents services.
En réponse, l’Ontario, province la plus peuplée du pays, a adopté fin septembre un projet de loi autorisant le transfert de patients en attente de soins de longue durée vers des établissements situés jusqu’à 150 kilomètres de distance.
Une mesure qui permettra “d’alléger la pression sur les services d’urgence surchargés”, avance le gouvernement provincial, mais qui forcera aussi les personnes âgées à vivre loin de leurs proches, répondent les critiques.
Bien que la plupart des personnes nécessitant un traitement finissent par être vues, les retards peuvent avoir des répercussions à long terme, comme lors d’un accident cardiovasculaire, souligne le Dr Pauls.
La situation est telle que la confiance des patients commence à s’éroder, continue le médecin. Il se souvient qu’il leur disait toujours “de revenir si les choses empiraient”.
“Mais maintenant, ils se moquent de nous”, constate-t-il. “Ils disent: +Vous êtes fous. Il n’y a pas moyen que je revive ça+.”
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